Chronique

Samy Thiébault

Awé ! Les inédits

Label / Distribution : Gaya Music

Ah c’est malin… Il y a quelques mois, nous étions là, tranquillement, à souligner le fait que Samy Thiébault avait en quelque sorte parachevé une trilogie de ses musiques caribéennes, commencée en 2018 avec Caribbean Stories, suivie par un travail entrepris en collaboration avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne (Symphonic Tales, en 2019) et conclue à l’automne 2021 avec Awé !.

Et voilà qu’on apprend que l’histoire n’est pas vraiment terminée. Le saxophoniste, en musicien avisé et sous les conseils de l’irremplaçable « ingénieux du son » Philippe Teissier Du Cros, avait en réalité gardé par-devers lui un peu de cette musique enregistrée à l’automne 2019 du côté de Miami et un an plus tard à Paris, histoire de ne pas brûler ses dernières cartouches. L’histoire dit qu’il y avait de quoi constituer un triple album… Mais attention : Awé ! Les inédits est un disque [1] dont le titre pourrait prêter à confusion. En effet, peut-être qu’Awé ! La suite eût été une appellation plus réaliste, dans la mesure où ses dix thèmes (tous signés Samy Thiébault à l’exception d’un d’entre eux par Éric Legnini) ne sont en rien des compositions de second plan, voire des fonds de tiroir. Non, qu’on se rassure, c’est un tout qui existe par lui-même, même si certains titres sont présentés comme faisant écho à une autre version dans le disque précédent. On passe ainsi d’une interprétation électrique à une version acoustique, ou inversement ; on peut également constater une variation dans le groove ou le tempo. C’est le travail du musicien et son modelage permanent qui sont ainsi mis en lumière. Tout cela se tient, avec la même équipe et dans une évidente joie de jouer. Oui la joie : c’est sans doute le mot clé de cette musique au service de laquelle se met un grand ensemble capable de conjuguer les énergies d’un combo de ce qu’on nommera latino-jazz et les élans plus impressionnistes, plus européens, d’un orchestre à vents et cordes. On est comme transporté, on se sent plus léger, tout paraît baigner dans une douce lumière qui réchauffe les corps et les cœurs.

On sait que Samy Thiébault, au-delà de ses qualités propres de musicien – le saxophoniste sait allier avec beaucoup d’aisance jubilation et profondeur d’inspirations variées, celles-ci étant toujours guettées du coin de l’anche par son maître Coltrane – est un homme conscient, vivant en prise avec les réalités brutales de notre monde. Alors quid de cette joie ? Serait-elle synonyme de naïveté ? Certainement pas : Awé ! les inédits est tout autant une démonstration de générosité collective et une source de réconfort qu’un acte de résistance en ces heures décidément bien troubles. Un manifeste d’humanité, tout simplement. Nécessaire donc. Ou essentiel, comme dirait l’autre…

par Denis Desassis // Publié le 1er mai 2022
P.-S. :

Musicien·ne·s
Samy Thiébault (ts), Brian Lynch (tp), Éric Legnini (Rhodes), Manuel Valera (p), José Gola (elb), Yunior Terry (b), Dafnis Prieto (dms), Anne-Cécile Cuniot (fl), Hélène Gueuret (ob), Camille Lebrequier (cor), Cécile Hardouin (basson), Bastien Stil (tuba), César Poirier (cl), Clara Abou (vln), Anaïs Perrin (vln), Benachir Boukhatem (alto), Sophie Chauvenet (cello), Odile Simon (b), Mathieu Gautron (band), Ramos Rodriguez (voc).

[1Le mot disque étant lui-même inapproprié dans la mesure où Awé !Les inédits n’est disponible qu’en format numérique sur la plateforme Bandcamp.