Le sommeil paradoxal, voilà ce que vise le contrebassiste Seajun Kwon. Ou même le paradoxe, tout simplement, qu’il manie à merveille. Originaire de Corée, le résident new-yorkais fait parler de lui depuis quelque temps pour un jeu élégant et d’apparence assez classique, tel qu’on l’entend sur « Commune », où il s’entoure notamment du tubiste et tromboniste Michael Prentky. Travail très intéressant sur la pâte orchestrale avec le piano d’Erez Dessel et la batterie d’Avery Logan en élément perturbateur, flegme apparent : on pourrait songer qu’il s’agit d’un groupe de plus de la Grosse Pomme qui joue un jazz contemporain un peu clinquant (« Suite Transcient »). Il n’en n’est rien. Très vite, on se rend à l’évidence : le travail est trop complexe pour n’être qu’univoque, et bifurque aussi vite que les rêves. Un morceau comme « Anamorphosis 1 » en est l’exemple parfait.
Entre l’attaque très colemanienne et le travail des saxophonistes Jacob Shulman et Aaron Dutton, toutes sortes de voies possibles s’entrouvrent, et celles qu’emprunte le Walking Cliché Sextet sont loin d’être les plus communes. Les soufflants jouent avec le feu, le piano les emmène dans des contrées de plus en plus abstraites d’où ils savent revenir vite, ou s’enfoncer plus loin encore. Voilà toute la science d’écriture voulue par Kwon : une capacité à muter instantanément, voire violemment, d’atmosphère pour nous emmener ailleurs, sans perdre en continuité néanmoins. Écoutons « Rumination » et le travail très précis de la rythmique. Lorsque Prentky s’envole au trombone, suivi de près par un archet très onirique, on laisse la part aux rêves. Mais tout peut s’interrompre.
Micro-Nap s’inspire des endormissements soudains, et des rêves qui peuvent en surgir. Seajun Kwon nous emmène littéralement où il veut, sans brisures ni raccrocs, avec un jeu d’une simplicité rare. Il y a un imaginaire très fort dans ce sextet à géométrie variable, dont chacun des membres est à suivre avec une grande attention.