Chronique

Oberg / Fonda / Martínez

Relight

Uwe Oberg (p), Joe Fonda (b), Lucía Martínez (dms, perc)

Label / Distribution : Not Two Records

Difficile de ne pas voir, dans l’attelage de Relight, une certaine idée de l’élégance. Pour Joe Fonda, c’est même le qualificatif qui lui sied le mieux  : calme, pondéré mais volontaire, il est capable d’aller partout sans perdre sa ligne directrice. Elle peut être intense et sinueuse, douce et néanmoins acérée à l’archet comme dans « Almost Two », peu importe, elle ne départit jamais de sa cohérence. Dans la confrontation de ce morceau, un autre avatar de la grâce avec la percussionniste Lucía Martínez. La jeune Espagnole installée à Berlin, qu’on a souvent entendue avec Agustí Fernández ou dans le Shotgun Chamber Trio n’a peut-être pas encore suffisamment marqué les esprits ; cet album en trio où s’illustre également le pianiste Uwe Oberg vient sérieusement remettre les pendules à l’heure. Les échanges sont frénétiques, mais Martínez garde toujours le cap, celui d’un jeu coloriste, ouvert, où les fûts ne sont pas tout et où les sons cristallins ou aqueux viennent apporter autant de virgules et de respirations que nécessaire. Mieux, des ajours qui laissent passer le soleil, la lumière, la chaleur et dessinent des formes.

C’est ce que suggère la pochette d’ailleurs ; une surimpression, une vision kaléidoscopique qui trouble la vue mais laisse aller l’imaginaire. Ces chimères qui savent naître aux confins du piano, où la main droite touche presque le bois mais danse toujours avec grâce sous la mitraille lointaine des cymbales. C’est le décor de « The Sharp Side of It », longue pièce de ce disque paru chez Not Two qui concentre en elle toutes les tensions qui peuvent naître entre les musiciens. Uwe Oberg durcit son jeu sans rien perdre de sa placidité. Il construit, il rebâtit, il ébauche, toujours sur le fil, même si ce dernier est robuste comme une corde de contrebasse. Lorsqu’il échappe aux assiduités de la batterie, son jeu devient étrangement concertant, s’enroule autour d’un ostinato avant de reprendre une ronde étourdissante avec la batterie. Fonda pourrait paraître en retrait, il est en embuscade. Pas quelque chose de violent ni d’agressif, juste une volonté d’arriver au moment idoine, de rester d’une précision d’horloger et de conserver une unité qui n’est, de fait, jamais remise en cause.

Enregistré au Just Music Festival de Wiesbaden en Allemagne en 2019, Relight est une pièce maîtresse pour qui veut comprendre l’équilibre subtil entre une musique libre et ouverte, presque animale dans sa capacité d’adaptation et de réaction sensible, et un jazz très structurant rythmiquement. Fonda aime la lumière, de Between Shadow & Light avec Herbert Joos à « Light » avec Gerald Cleaver. Cet éclat, c’est un formidable jeu de mouvements, souvent insaisissables mais qui s’imposent immédiatement. Il n’est pas pour rien l’un des tenants d’une ligne claire qui n’empêche pas toutes sortes de fractures. Il faut ainsi se laisser entraîner par un morceau comme « Lighter Than Before », où l’enjeu est exposé par la contrebasse bondissante de Fonda, qui s’amalgame à mesure que s’insinuent les timbres de ses compagnons. Après quelques instants, comment faire la différence entre les cordes lestées du piano, les caresses des métaux et Fonda qui jongle entre contrebasse et flûte ? On s’y perd et c’est le cadet de nos soucis. Tous les méandres qui peuvent mener à la clarté et à sa chaleur sont bons à prendre et ces trois-là sont d’excellents guides. Relight est une magnifique carte sans boussole qui nous mène toujours à bon port.