Scènes

Yoko Miura illumine un sous-sol

Un rendez-vous manqué ; des plaisirs inattendus avec des invité.e.s surprises.


Yoko Miura by Guy Sitruk

Yoko Miura devait jouer, le 6 octobre dernier, avec Judith Kan et Mia Zabelka, violoniste autrichienne. Cette dernière n’a pu venir pour raisons de santé.
Alors, jouer en duo ? Plutôt inviter, in extremis. C’est ce qu’ont entrepris nos deux musiciennes.

Judith Kan et Yoko Miura (photo Guy Sitruk)

S’est donc formé un quintette de musique improvisée, avec des artistes aux racines et tropismes multiples. Ils se sont retrouvés dans une petite salle en sous-sol d’un centre culturel indien, à côté de la Gare du Nord.

Une instrumentation plutôt inhabituelle pour ce concert : un piano, certes, mais aussi un piano jouet et un melodica pour Yoko Miura, une contrebasse électrique pour Kentaro Suzuki, des flûtes et un saxophone soprano … en bambou pour Marco Caccialupi et un attirail électronique pour Harold Schellinx. Quant à Judith Kan, son instrument c’est elle.

Le groupe se met en place. Judith Kan, après une certaine intériorisation, lance un chant aux origines mi-chamaniques, mi-issues des profondeurs de l’histoire de l’est de l’Europe, ou venant d’autres horizons selon l’imaginaire de chacun. Kentaro Suzuki accompagne de lents glissements à l’archet cette mélopée prenante, ponctuée d’éclats au saxophone et de grésillements électroniques. Puis le piano égraine quelques notes, jette quelques taches de couleur, et installe des bribes d’images d’un univers intérieur, déjà.
Après une pause, qui a permis à certains attardés de gagner leur siège, le concert se poursuit, avec un solo de Yoko Miura. Quelques notes rares, aux dissonances douces. Assez vite une mélodie s’installe, une sorte de comptine au romantisme épuré. Quelques notes éparses, qu’elle laisse résonner, avec de vagues réminiscences de l’Europe d’hier. Le discours s’enhardit, prend un certain élan puis fait revenir la petite mélodie. On est ailleurs, loin de ce sous-sol. C’est l’une des facettes du talent de cette pianiste.

Pour la pièce qui suit, elle souhaite que d’autres l’accompagnent, mais Judith Kan lui rappelle que c’est elle la vedette, que c’est son concert, et que les autres viendront se joindre à elle si besoin est. Un regard, un sourire de la pianiste et la chanteuse la rejoint. Pendant que Yoko Miura distille ses images poétiques, avec peu de notes, parfois d’une seule main, Judith Kan plonge en elle même. Elle n’est plus vraiment là. Puis son film intérieur surgit. Ce chant des profondeurs et cette présence interpellent. Le jeu de scène est pourtant minimal, mais cet univers régurgité et les coups de pinceaux à peine esquissés sur le clavier installent une magie éphémère, à saisir pleinement.
Kentaro Suzuki voit que c’est le moment. Il vient sur scène se saisir de sa curieuse contrebasse et en caresse les cordes, les joue du bout des doigts des deux mains, les tapote ; il prend la relève pour un nouveau duo, voix contrebasse ; il calque parfois ses notes sur la rythmique du chant et insuffle un nouvel élan lyrique.

Puis c’est au tour des deux autres invités de venir, Judith leur laissant la scène.
C’est Marco Caccialupi qui surprend, au plan visuel déjà. Une petite et une grosse flûte à bec, mais ce qui intrigue c’est ce petit saxophone, un soprano coudé en bois, plus précisément en bambou. Il en sort un son rauque, sauvage, comme issu d’un gros volatile des forêts tropicales. Un jeu en petits éclats, en roucoulements, incisif, aux granulations multiples. Avec Kentaro Suzuki, se développe un dialogue serré avant que ce dernier quitte la scène. Et là, livré à lui-même, le sax développe des infrasons, des souffles propices aux strates de Yoko Miura au mélodica et aux bourdonnements de Harold Schellinx, à ses fusées, à ses salves, à ses gazouillis.
La pianiste se saisit d’un clavier jouet pour une mélodie cristalline, troublante, entêtante, accompagnée par le bassiste à l’archet au lyrisme ample.
Progressivement le quintette se reconstitue, alors que Yoko Miura retrouve son piano. La suite est sur la petite vidéo :

Ce concert nous a offert une musique où chaque voix est originale, où les rencontres et les enchevêtrements sont nombreux, mais aussi où sa matérialité même, les sons, la gestuelle, passent après la puissance onirique des diverses configurations instrumentales, en particulier quand Yoko rencontre Judith.