Chronique

Devin Gray feat. Gerald Cleaver

27 Licks

Devin Gray (dm), Gerald Cleaver (dm)

Label / Distribution : Rataplan Records NYC

Devin Gray est un batteur, et s’il faut croire son site web, il serait une étoile montante du côté de Brooklyn. Il nous propose un enregistrement assez particulier, un duo de batteries, avec un artiste ami, Gerald Cleaver, qu’il considère comme un maître, ce qu’on peut aisément approuver. Ami en raison d’une rencontre fortuite, il y a près de 10 ans, ayant conduit à une collaboration depuis, et à un enregistrement aujourd’hui.

On pourrait craindre une certaine aridité du propos, ou une sorte de joute virtuose. Il n’en est rien. Les frappes sont comme retenues, sans exubérance si ce n’est le flux incessant des propositions. S’agissant de batteries amies, il est difficile de reconnaître qui joue quoi. On peut noter que le canal gauche a souvent le trait sur la première piste, et que l’autre joue davantage la subtilité, l’économie des frappes, comme s’il observait avec tendresse et plaisir l’émancipation d’un jeune poulain. Et comme l’album est réputé être celui de David Gray, ce second canal pourrait bien être celui de Gérald Cleaver. Est-ce le cas pour les autres pistes ? À vous de vous essayer à cet exercice.

Pas d’apocalypse, pas de roulements tonitruants, mais la danse sur la première pièce, qui donne son nom à l’album, « 27 Licks », avec des ponctuations, un jeu subtil des balais sur les cymbales, des micro-leitmotivs, des frottements d’archet et comme un chant lointain d’un côté ; une pulsation douce et irrésistible, avec des éclats percussifs millimétrés de l’autre.
Des dialogues de cymbales, de caisses claires (« F Train Drain »), de roulements, de feulements (« Headed To Barbès ») en guise de thèmes pour nous faire savourer tout un assortiment de gourmandises. Pour les curieux, Barbès est un bar de Brooklyn où se tiennent des performances.
La discrétion d’une forêt équatoriale qui s’éveille à peine, quelques claquements de becs, des chocs épars, quelques bruissements d’insectes, une eau qui ruisselle, des résonances lointaines, erratiques, autant de prétextes à dégustations délicates, à écoute affûtée (« Love Conquers Hate »).

Tout l’album est fait de propositions nouvelles, de surprises, comme cette pièce faite d’un long roulement parsemé de cliquetis, puis ces derniers se font aussi roulements. Des friselis, des caresses, des chocs erratiques viennent parachever ce tableau (« The Long Roll Ahead »).

L’album se termine sur une très belle et assez longue promenade (21 minutes), une sorte de contrepied aux miniatures précédentes. Ces deux batteurs ont une histoire à raconter, à se raconter, des paysages à nous faire découvrir, des forêts, des ateliers d’artisans, des frémissements à faire passer sur notre peau, d’autres subtilités à nous proposer : less is more.

Ce pari un peu fou, proposer un duo de batteries, est une réussite. Celle-ci confirme si besoin est le talent de Gerald Cleaver, et laisse penser que l’encore jeune Devin Gray n’a pas fini de nous étonner tant son jeu est surprenant de fluidité, d’aisance, de capacité discursive, de subtilité.

Cet album est proposé en version digitale pour environ 12€ tout compris sur Bandcamp.
En guise de dégustation, « 27 Licks »