Scènes

Banlieues Bleues 2002, Le bilan

Petit tour d’horizon de la 15ème édition


Première chose et d’importance, le public est présent et diversifié. On en a l’habitude, mais cela fait toujours plaisir de le constater.
Par où commencer dans le large panel proposé encore cette année ? Par la Great Black Music, tiens.

Cecil Taylor en ouverture du festival d’abord en solo puis avec l’Instabile Orchestra. Le vieux lion de la free music rugit encore quoiqu’il paraît un peu apaisé, plaçant entre ses passages caractéristiques de cluster, des variations impressionnistes, mélodiques.

Avec l’Instabile, Taylor joue peu, mais fait les cent pas comme une bête en cage. Sa nervosité fait écho à la musique que développent les Italiens, violente et âpre, sonnant par moment comme de la cacophonie pure, et laissant jaillir aussi de la poésie. La free music ne révèle pas ses beautés comme cela, mais si on en croit les réactions enthousiastes de la salle, le public y a été sensible. A moins qu’ils n’aient applaudit qu’une icône…

David S. Ware est quand lui un personnage aux antipodes de Cecil Taylor, du style gros nounours bourru. Curieusement sa musique n’est pas à son image, beaucoup plus chaleureuse que celle de Taylor et dans la droite lignée de Pharoah Sanders. C’est avant tout un son de ténor énorme à réveiller les morts. On sent le fantôme de Coltrane qui pointe son nez aussi dans le quartet (les accords martelés au piano), mais cela sonne quand même suffisamment personnel pour ne pas être du revival.

On retiendra aussi le grand concert d’Open Systems (Assif Tsahar / Hugh Ragin / Peter Kowald / Hamid Drake), où la sincérité de chacun (notamment à travers une émouvante relecture de Lonely Woman) permirent un dialogue permanent et des furieuses envolées.

Enfin Mal Wadron enveloppé par des halos de fumée donna de sobres solos minimalistes, épaulés en cela par le grand Jean Jacques Avenel (l’humilité et la sagesse qui se lisent sur son visage sont proportionnelles à la richesse de son jeu) et l’énergique Sean Bergin au saxophone.

Programmer deux concerts peut donner lieu à des curieux rapprochements, l’un d’eux a été particulièrement bien senti. Le nouveau quartet de Christophe Marguet et le quintet de Rabih Abou Khalil se sont partagés la scène du théâtre de Noisy le Sec.

On pourra dire (pour faire rapide) que l’un avait les qualités que l’autre n’avait pas. Au niveau composition, lisibilité, mélodie et aisance avec le public chez Khalil, et au niveau expérimentation (magnifique Orti), originalité de la construction, renouvellement chez Marguet.
Khalil déchaîna donc les spectateurs, avec des improvisations de haute volée, notamment celles du clarinettiste Mirabassi, dont le sens mélodique aiguë fait merveille.

Yves Robert s’impose de plus en plus comme une personnalité originale et forte de l’hexagone. Entouré du violoncelliste casse cou Vincent Courtois et du redoutable Cyril Atef (au groove multi ethnique dixit Robert), il tient là un magnifique projet (une fois de plus). Musiques accessibles, savantes, fraîches, il faudrait aussi inventer de nouveaux qualificatifs pour décrire le bonheur qu’on a à les écouter. Cyril Atef tisse des poly rythmes savants ou très simples, sur lesquels viennent se greffer des nappes de sons, des passages plus violents, des mélodies émouvantes. La virtuosité piquante et humoristique de Robert est manifeste sans que cela paraisse démonstratif, ce qui est rare.

Marc Ribot donna ensuite une version plus que convaincante de ses « cubaneries de pacotille ». Sa technique est hors norme (les doigts donnent l’impression de flotter sur le manche), ses introductions bruitistes sont renversantes, et le groupe le soutient à merveille sans la frime qui pourrait accompagner de telles musiques.

Enfin en vrac : Elliot Sharpp d’abord en bluesman destroy (guitares, slide, saxophone), dont le concert fut un peu gâché par un batteur qui devrait se reconvertir en bûcheron ; ensuite dans les musiques électroniques au côté de Ikue Mori et DJ Oliv. Là difficile de donner un avis tranché, oui cela est aventureux, plutôt inédit, mais aussi terriblement rébarbatif.

Les Baby Boomers d’Humair sont toujours en très grande forme, notamment Donarier et Boisseau. L’engagement de ces jeunes auprès du maître es percussion fait plaisir à voir d’autant plus qu’ils peuvent maintenant se permettre à peu près toutes les audaces. Le duo canadien (Jean Derome et Joane Hetu) qui les ont précédés ont créés un mini scandale pour une performance qui tenait autant de l’invention jouissive que du pipi caca. On a retrouvé Jean Derome auprès de Sclavis, là pour un concert franchement médiocre, où seul Chevillon parvint à s’extraire de l’ennui qui minait l’ensemble.

  • On notera pour terminer l’excellente initiative du festival (pour la deuxième année) de faire écrire à des jeunes lycéens des articles sur les courants et quelques musiciens représentés cette année. Ils ont été regroupés dans un magazine (Secteur Jazz) et distribués gratuitement lors des concerts. Ils sont aussi disponibles sur le site Internet de Banlieues Bleues.
  • * Les concerts de Cecil Taylor et Daniel Humair seront retransmis sur France Musiques le dimanche 28 avril, à 23h00.