Scènes

Edward Perraud Quartet : Synaesthetic Trip 2

31 janvier 2015 à l’Ajmi (Avignon).


Photo © Frank Bigotte

A l’issue d’une intense semaine de résidence à l’Ajmi, le batteur Edward Perraud et son quartet nous ont présenté en exclusivité leurs nouvelles compositions, quelques jours avant l’enregistrement de l’album, dont la sortie est prévue le 28 mai 2015 (Quark Records/L’Autre Distribution).

« C’est le cinéma qui me donne envie de faire de la musique », me confie Edward Perraud, à peine sorti de scène. Or, la première de Synaesthetic Trip 2 s’est jouée dans le club de l’Ajmi, situé au-dessus même du cinéma d’art et d’essai l’Utopia… Signe du destin ? Je ne peux m’empêcher d’y voir une troublante coïncidence et les mots de Paul Eluard me reviennent : ‘’Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous’’.

C’est un public nombreux qui est au rendez-vous ce soir-là et a la primeur du fruit d’un an et demi de labeur, période de gestation et de mutation au rythme du pattern doute/certitude/doute, reflet d’une remise en question permanente. Ne jamais rien tenir pour acquis. Car Edward Perraud n’a que trop conscience de la fugacité de notre passage sur terre et cette urgence de vivre est au centre de son travail. « Être à l’affût », saisir pleinement l’instant présent, voilà le point d’ancrage de ce Synaesthetic Trip 2 , doublé, pour l’occasion, d’une exposition de photographies de l’artiste lui-même [1].

Photo Frank Bigotte

Car l’image est l’autre passion d’Edward Perraud, indissociable de sa musique. Elle est cet autre médium qui capture l’instant, cette correspondance nécessaire au processus de création [2]. Une image en mouvement qui lui inspire les thèmes de ce nouvel album, conçu comme une musique de film. Le concert auquel nous assistons est un véritable « cinematic trip ». Dès les premières compositions (le délicat « Touch », suivi de « Suranné », un adjectif qu’affectionne le batteur), nous voici plongés dans un voyage mystique au cœur de l’instant, un paysage sonore à la riche palette rythmique : jungle, drum’n’bass et effets électroniques (claviers midi, séquenceurs, pédales de boucles et boîtiers Moog pilotés par le quartet) ponctuent subtilement ce set (« Sad Time », « Demo Crazy »…), appuyés par une ligne de basse minimaliste et planante, propre à ce genre musical apparu dans les clubs underground anglais au début des années 1990. L’intrigue nous tient en haleine, le jeu de batterie est toujours aussi inventif, espiègle, les chorus haletants, contrastant avec la délicatesse des interventions lyriques du « frère d’âme » Benoît Delbecq et avec le jeu épuré de Bart Maris. Ce dernier est rejoint, au cinquième thème, par le saxophoniste ténor Daniel Erdmann (complice de Perraud au sein de Das Kapital), formant ainsi un pupitre des plus efficaces (envolées mingussiennes et superbes solos de Daniel sur ce titre-ci et le suivant, « Demo Crazy ») [3].

S’ensuivent plusieurs hommages : celui de Perraud à son père, grand amateur de tango, avec une composition très originale où se greffent des percussions indiennes pour une fusion des genres très réussie. Autre composition personnelle, « Mal pour un bien » est un hommage à Benoît Delbecq et à Mal Waldron, leur pianiste héros. Il y a beaucoup de poésie dans la musique d’Edward Perraud ; beaucoup de sagesse et d’optimisme aussi chez ce nomade du son résolument connecté à l’univers. Le clap de fin est donné avec « Captain Universe », véritable hymne à la joie car, il nous le dit : « La vie nous rend vraiment heureux quand on a décidé de l’être ». Ne peut-on pas définir l’utopie comme notre propre vision du bonheur ? Utopia, vous dis-je… Nous restons suspendus aux dernières notes des soufflants, comme si l’éternité résidait dans cet instant.

par Sandie Safont // Publié le 23 février 2015

[1« A l’affût », jusqu’à fin février 2015 à l’Ajmi/Manutention, 4 rue des Escaliers Sainte Anne, Avignon.

[2On se souvient en effet des photos illustrant chaque titre du premier Synaesthetic Trip.

[3Pour l’album, le pupitre Maris/Erdmann sera complété par Thomas de Pourquery.