Chronique

MKMB

Émotions Homogènes

Christophe Monniot (as, bs), Joachim Kühn (p), Sébastien Boisseau (b), Christophe Marguet (dms)

Label / Distribution : BMC Records

Rencontre de trois places fortes du jazz européen (la France, l’Allemagne et la Hongrie comme terre d’accueil) et de deux générations dorées, le quartet MKMB regroupe quatre grands improvisateurs qui embellissent depuis suffisamment d’années les discothèques des amateurs de jazz pour que cette rencontre représente un véritable événement, avec une musique largement à la hauteur de nos attentes.

Ce qui marque dès la première écoute d’Émotions homogènes (clin d’œil à Steve Coleman, référence récurrente du label BMC, ou Budapest Music Center), c’est la lisibilité, la précision sibylline avec laquelle ce titre se justifie dès les premières notes, ainsi que le magnétisme d’un quartet - propulsé par Christophe Marguet - dont l’évidence et la connivence sonne à chaque accord.

Imaginer la fougue de Christophe Monniot et de Joachim Kühn se frottant à la solidité de Marguet et de Sébastien Boisseau, c’est prendre la mesure d’une formation presque naturelle, qui découle d’une vision commune mais aussi de collaborations multiples et croisées. L’ombre Daniel Humair (à travers Baby Boom et ses œuvres avec le pianiste allemand), plane avec bienveillance sur cette musique libre, contemporaine, et surtout lumineuse. MKMB n’est pas qu’un sigle, c’est un rythme, une concordance, un liant compact et homogène.

La notion d’homogénéité est en effet le sel d’un album dense, touffu où les musiciens semblent converger vers le point nodal du jazz européen, entre musiques savantes empreintes de traditions d’Europe centrale [1], échappées orientalistes et ce jazz bouillant et libertaire, sans leader désigné, qui laisse à chacun le loisir de malaxer ces influences. C’est cette étendue, large et chaleureuse que Monniot et Kühn, navigateurs toujours instinctifs dès qu’il s’agit d’explorer ces contrées de passage, traversent avec une jubilatoire conviction, et une volonté réitérée de ne rien sacrifier à l’ensemble. Cette responsabilité collective prend le temps de laisser chaque improvisateur développer sa propre entropie sans perdre de vue l’essentiel, maintient une cohésion, une rectitude qui donne de la puissance au propos, sans pour autant aller jusqu’au tumulte ni au point de rupture - parlons plutôt de convergence. Dans cet exercice, saluons le travail phénoménal de Gérard de Haro pour la profondeur du son capté au studio La Buissonne, la richesse des détails et la subtilité des musiciens.

Ainsi, au fil des morceaux, l’alliance entre la contrebasse claire de Boisseau et la musicalité coloriste du jeu à fleur de peau(x) de Marguet font des miracles dès « Sata » (Kühn), sorte d’errance dans un désert ou se serait égaré un Messiaen dodelinant à dos de chameau. Les musiciens ont tous participé à l’écriture et apporté çà et là des pierres très personnelles à l’édifice : notons le très joli « Wanbli » (Boisseau) qui figurait sur Baby Boom, ou le fougueux « Have You Met Mystic » (Monniot) qui remonte à sa première incursion chez BMC [2]. Un morceau qu’il charge au baryton, et qui offre à la fois un beau moment collectif et un solo remarqué de Kühn. Ce dernier assume la moitié des morceaux avec la classe élancée des grands solistes. Via une intro inspirée, en forme de fugue, où Kühn se dote de résonances de pianoforte, « White Widow », pivot de l’ensemble, se fait emblématique d’un certain jazz européen insolent, dès que Marguet se joint à lui pour bâtir l’édifice solide d’un disque indispensable…

par Franpi Barriaux // Publié le 10 décembre 2009

[1Bartok se cache parfois dans un océan bleu d’accords complexes…

[2Avec La Manivelle Magyare (2005), au côté de Gabor Gado et de la Campagnie des musiques à ouïr