Scènes

NJP : quand le jazz s’élève au Chapiteau

Échos de Nancy Jazz Pulsations # 7 – Jeudi 17 octobre 2019, Chapiteau de la Pépinière – Copland, Liebman, Gress, Brecker, Baron / Jean-Luc Ponty / Guillaume Perret.


Marc Copland, Dave Liebman, Drew Gress, Joey Baron, Randy Brecker © Jacky Joannès

Il aurait fallu avoir le don d’ubiquité hier soir. Parce qu’au Théâtre de la Manufacture se produisait Omar Sosa tandis du côté de la Pépinière, NJP proposait une vraie belle soirée de jazz, un mot qu’il convient, on le verra, de mettre au pluriel. Mais il fallait choisir : direction le Chapiteau pour une triple affiche et la promesse d’un éclectisme qui est la marque de cette musique.

Quel menu ce soir au Chapiteau de la Pépinière ! Du genre copieux et varié. Avec comme entrée en matière, une sorte de « all stars » du jazz made in US, soit la réunion de cinq figures majeures. Rendez-vous compte : Marc Copland (piano), Dave Liebman (saxophones), Randy Brecker (bugle), Drew Gress (contrebasse) et Joey Baron (batterie). Additionner leurs biographies serait une façon de raconter une grande partie de l’histoire du jazz qui s’est tramée depuis plusieurs décennies. En réalité, je me dis que qualifier le groupe de « all stars » est peut-être injuste. On pourrait penser qu’il y a là un peu de taquinerie de ma part. Or il n’en est rien : ces messieurs multi-récompensés, compagnons des plus grands, sont à l’évidence toujours sur le qui-vive, chacun d’entre eux a déposé dans la corbeille une composition et s’en empare avec un appétit discret, presque une gourmandise. Les interventions individuelles sont justes et mesurées, l’écoute mutuelle est à un niveau élevé et l’on devine par certains regards combien ces musiciens sont à l’affût, prêts à explorer leur musique en la mettant au service du collectif. C’est une leçon de jazz, savante et ancrée dans la tradition (un thème suivi de chorus avant la reprise du thème) durant laquelle les musiciens guettent du coin de l’œil (et de l’oreille…) la moindre possibilité d’emprunter un chemin de traverse. Des échappées en forme de coup parfait pour un set d’un peu plus d’une heure. C’est court mais qu’est-ce que c’est bon !

Jean-Luc Ponty © Jacky Joannès

« Il était temps ! » À 77 ans, Jean-Luc Ponty sait le prix du temps qui passe et apprécie son retour à Nancy Jazz Pulsations après de très longues années d’absence. Une autre époque qui résonnait d’échos plus world music, pour celui qui est à lui seul une histoire du jazz. Le violoniste a choisi de faire revivre ses Atlantic Years. Comprenez par là qu’après une collaboration avec Frank Zappa (trois albums tout de même !) et un passage au sein du Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin, le violoniste – qu’on qualifie parfois d’inventeur du violon jazz – a élaboré à partir de 1975 son propre langage durant une décennie émaillée d’une douzaine d’albums. On parlera de jazz rock, qui reste sous l’influence des fulgurances célestes du Mahavishnu. C’est loin d’être un reproche de ma part. Le concert de NJP file à la vitesse de l’éclair et puise sa matière première essentiellement dans trois disques : Imaginary Voyage, Enigmatic Ocean et Cosmic Messenger. Aucune nostalgie toutefois durant ces 80 minutes car Jean-Luc Ponty, virtuose virevoltant, peut compter sur l’énergie de ses comparses. Je retiendrai en particulier la polyphonie de la batterie de Damien Schmitt et la présence, assez discrète, d’un nouveau venu en la personne de Jean-Marie Ecay dont la guitare a longtemps accompagné un autre violoniste : Didier Lockwood. Je n’oublie pas de citer William Lecomte aux claviers et Guy Nsangué Akwa à la basse, deux fidèles qu’on trouve aux côtés de Ponty depuis plus de 20 ans. Atlantic Years est une occasion privilégiée de se laisser aller aux charmes d’une musique qu’on pensait loin de nous, passée de mode, après tout ce temps écoulé. C’est avant tout le privilège d’applaudir un grand monsieur sur qui celui-ci ne semble pas peser. On attend sa prochaine visite par ici !

Guillaume Perret © Jacky Joannès

16 levers de soleil, c’est le titre du film réalisé par Thomas Pesquet lors son « séjour » dans l’ISS entre novembre 2016 et juin 2017. Le spationaute en a confié la bande son à Guillaume Perret. Cette Elevation est pour le saxophoniste l’occasion de se produire à nouveau en quartet, après une période durant laquelle il avait tenté l’aventure en solitaire. Autour de lui, une équipe de costauds comme lui : l’omniprésent Laurent Coulondre aux claviers, Julien Herné (membre du Living Being de Vincent Peirani) à la basse et Martin Wangermée (membre du trio de… Laurent Coulondre) à la batterie. Le spectacle est d’abord très visuel, dans un jeu d’ombre et de lumière d’où émerge la lueur rougeoyante du saxophone. Guillaume Perret, constamment en mouvement, superpose des strates sonores et modèle le son de son instrument auquel il applique une myriade d’effets, par des commandes au pied ou une console pilotée à la main. La musique est puissante – je n’ose pas dire cosmique – et sa dimension hypnotique est le vecteur d’un voyage qui ne serait pas seulement spatial mais aussi intérieur. Est-ce là un jazz du futur ? Bien malin qui saura répondre. Pour l’heure, je peux simplement dire ici que Guillaume Perret, habité par sa musique, veut inventer un monde à lui et qu’il semble y parvenir. En tous les cas, sa cosmogonie scénique a le pouvoir de captiver. Le public ne s’y est pas trompé : bien qu’un peu éclairci du fait de l’heure tardive, il aura su obtenir un rappel. Décollage réussi !