Chronique

QÖÖLP

Live at Kesselhaus Berlin 02.06.2016

Valentin Ceccaldi (cello), Théo Ceccaldi (vln), Ronny Graupe (g), Christian Lillinger (dms)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Les frères Ceccaldi sont les représentants de ce que l’on pourrait appeler l’Erasmus [1] buissonnier : parcourir l’Europe, aller au-devant des autres, dialoguer et s’imprégner. Après le Portugal (avec Marcelo Dos Reis), l’Italie (Roberto Negro), la Suisse (Samuel Blaser et Luzia Von Wyl) ou la Belgique (Manuel Hermia, Bart Maris), voici l’Allemagne. Nous savions depuis longtemps que nos archets unis par les liens du sang trouveraient outre-Rhin un oxygène vital pour se régénérer. Il fallait juste l’occasion et les interlocuteurs adéquats. La première condition fut offerte par Jazzdor Series qui retranscrit la rencontre avec ce « concert à emporter » paru sur leur label ; la seconde va au-delà des espérances. On a le sentiment, avec « PÖKQ » que deux mondes parallèles se rejoignent. QÖÖLP est une décalcomanie. Le guitariste Ronny Graupe et le batteur Christian Lillinger animent ensemble depuis plus de 10 ans le trio Hyperactiv Kid avec le saxophoniste Philipp Gropper. Ils sont également impliqués sur la scène de l’improvisation européenne : Lillinger avec Achim Kaufmann ou Alexander Von Schlippenbach, Graupe avec Johannes Lauer ou Dejan Terzic.

Il y a dans le jeu des Allemands une agressivité qui n’oblitère pas une écoute attentive des folies des Orléanais. Ainsi, sur « ZLUPF », signé Lillinger, la batterie sèche emporte avec lui Valentin Ceccaldi dont la ligne de basse pleine de brisures, qu’il laisse poursuivre sur « SIEG » en forme de final, donne énormément de relief au quartet. Les Allemands s’avèrent indubitablement hyperactifs, ce qui n’empêche pas la tendresse (« PÄKP »). A l’inverse le « HUEPK-MO » du violoncelliste est un bijou de minimalisme où le silence est si épais que le violon le trouble à peine même si, peu à peu, le murmure grossit pour mieux se lover dans l’espace et imprimer sans y toucher une épatante rythmique souterraine. On retrouve ici le goût de Valentin pour les climats nébuleux, de ceux qui nous enchantent tant avec Marcel & Solange. Avec « TALX-AF », il semble qu’il présente le couple à ses amis teutons, et que tous se lancent dans une danse débridée où les contacts sont permis.

Le violoncelliste signe la plupart des pièces de cet album, qui porte largement sa patte. QÖÖLP se révèle prêt à partir dans toutes les directions, sans se poser de limite. « POKQ » est une petite merveille de musique répétitive qui fait jubiler Théo Ceccaldi, sans pour autant qu’il se mette en avant dans cette approche fort collective. Quelque chose nous dit que ce Live at Kesselhaus aura des lendemains. Le violoniste et le guitariste ont depuis participé au RED de Luzia Von Wyl ; une telle complicité ne peut pas s’arrêter en si bon chemin. Quant aux titres et au nom du groupe, on est en droit de se questionner sur l’origine de ce Volapük. Il n’y en a pourtant pas : ni codes compositionnels, ni messages subliminaux. Juste un orchestre qui en une seule représentation a trouvé une langue véhiculaire. Une chance : sa compréhension est assez universelle.

par Franpi Barriaux // Publié le 29 janvier 2017

[1Du nom du programme européen destiné à l’échange d’étudiants.