Chronique

Adam O’ Farrill

Visions of Your Other

Adam O’Farrill (tp), Xavier Del Castillo (ts), Walter Stinson (b), Zack O’Farrill (dm)

Label / Distribution : Biophilia Records

Une vision contemporaine majeure se dégage de cet album, à plusieurs niveaux : tout d’abord, par la perspective d’un monde malmené, s’enfonçant dans le chaos et la prise de conscience qui en découle - d’où les titres et les explications du trompettiste dans l’original origami inclus dans la pochette -, mais également par la maîtrise et l’inventivité de ce leader issu d’une famille illustre de musiciens et qui ne déroge pas à la règle : « vivre la musique avec son temps » ; enfin, par le fait que le quartet est bien rodé et prêt à s’engager dans toutes les aventures musicales possibles. Adam O’Farrill s’est fait remarquer récemment en prenant la première place du Rising Star Trumpeter 2021, mais cet honneur ne l’a pas détourné de sa volonté de mener une carrière musicale exemplaire. On se souvient par exemple qu’il illuminait par son lyrisme l’album de Mary Halvorson Artlessly Falling aux côtés de l’immense Robert Wyatt.

La pièce abstraite de Ryuchi Sakamoto « Stakra » ouvre le disque : une longue nappe sonore qui précède cinq autres titres où les tensions menées par la frappe ingénieuse de Zack O’Farrill font mouche à chaque fois. L’engagement d’Adam O’Farrill en faveur d’un monde meilleur se concrétise avec « Hopeful Heart », « Inner War » ainsi que « Ducks », qu’il a composé et où le saxophoniste Xavier Del Castillo démontre qu’il est un improvisateur majeur. C’est d’ailleurs la grande qualité de cette musique qui passe par l’unisson des deux cuivres perpétuant les climats d’Ornette Coleman et de Don Cherry. L’ultime morceau de l’album, « Blackening Skies » (qui donne lieu à un petit film d’animation d’Elenor Kopka), est composé également par Adam O’Farrill ; il résume parfaitement sa vision artistique : une architecture sonore dense liée à des motifs répétitifs qui fait le constat d’appartenir à une humanité bercée par l’effroi. Un album d’une indicible beauté.

par Mario Borroni // Publié le 4 septembre 2022
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