Lorsque l’admiration portée à un musicien s’incarne dans une dévotion sans faille, il y a toutes les chances que cela aboutisse à un excellent résultat. C’est ce qu’a réussi Ohad Talmor et qui va ravir les passionné.e.s d’Ornette Coleman.
Certaines des musiques d’Ornette Coleman qui apparaissent sur Back to the Land ont été découvertes par Ohad Talmor sur des bandes DAT issues des archives de Lee Konitz. Ces ébauches musicales n’avaient jamais été entièrement composées ni publiées ; elles furent seulement interprétées une fois en Italie lors de l’Umbria Jazz Festival en 1998. C’est en quelque sorte cette prolongation de l’univers musical d’Ornette qui donne l’illusion, par moments, d’entendre un nouvel opus du géant américain. Toute la musique est fouillée, parfaitement équilibrée mais jamais maniérée : cette dévotion ne donne pas lieu à l’aveuglement d’un admirateur mais bien à une réévaluation sincère.
Né à Lyon, Ohad Talmor a très vite traversé la frontière suisse et goûté à l’enseignement genevois. L’équilibre des compositions de Back to the Land, empreintes de profondeur spirituelle, révèle le talent de ce saxophoniste ténor qui bénéficia de l’enseignement d’une plus grandes pianistes de tous les temps, Martha Argerich. C’est surtout son association avec Lee Konitz qui a marqué les esprits, et il est surprenant de constater combien le son velouté de l’altiste s’immisce dans les phrasés de Talmor. Entouré de Chris Tordini à la contrebasse et basse électrique et d’Eric Mc Pherson à la batterie, le saxophoniste et arrangeur invite des figures clés de la scène new-yorkaise dans cette aventure.
« Seeds », basé sur un brouillon d’Ornette Coleman, donne le ton : chaque note est soupesée avant de plonger dans un monde onirique. L’alliance harmonique du piano de David Virelles et du vibraphone de Joel Ross nourrit l’écriture thématique. Ce sont les divers « Trios Variations » qui font ressurgir une musicalité exacerbée : le fantôme d’Ornette rôde dans les parages. La beauté manifeste de « Kathlyn Grey » impose sa solennité. Une forme d’insouciance rollinsienne s’instille dans « Mushi Mushi » qu’irradie la virtuosité pianistique de Leo Genovese. Cette composition de Dewey Redman, disparu en 2006, montre l’admiration qu’avait le saxophoniste d’Old and New Dreams pour les compositions d’Ornette. Il suffit d’avoir entendu en direct un solo de Redman pour se rendre compte de l’importance capitale qu’a eu ce saxophoniste dans l’histoire du jazz du XXème siècle ; Ohad Talmor le réhabilite également avec l’éblouissant « Dewey’s Tune ».
Le deuxième disque invite à explorer des nuances qui évoquent l’indémodable In All Languages avec Caravan of Dreams, paru en 1987 : les groupes acoustique et électrique s’y confrontaient astucieusement. Dans « Accords for Five », Adam O’Farrill est souverain. Une nouvelle fois l’extase s’installe dans « Quartet Variations on Tune 3 * » : la résurrection du quartet historique des années soixante y est célébrée et se différencie des sonorités malaxées qui animent « A Good Question ».
Cet univers musical unique se referme avec l’apparition de Grégoire Maret qui expose une ballade digne de Toots Thielemans. La musique prend alors une tournure nostalgique subtilement complémentaire des fables harmolodiques d’Ohad Talmor.