Chronique

Aki Takase & Daniel Erdmann

Isn’t it Romantic ?

Aki Takase (p), Daniel Erdmann (ts)

Label / Distribution : BMC Records

Deux voix qui s’imposent, naturellement. Le saxophone ténor de Daniel Erdmann et le piano si rythmique, si anguleux d’Aki Takase, dans un de ces duos qui ont jalonné la carrière de la pianiste japonaise installée en Allemagne, semblent avoir toujours joué ensemble ; ce n’est pas totalement faux, d’ailleurs, puisqu’il y a dix ans Erdmann émargeait dans l’ensemble de Takase lorsqu’elle rendait hommage à Dolphy. Depuis, Erdmann est surtout connu pour Das Kapital, et dans « Sans Sulfites » qui ouvre Isn’t it Romantic ?, l’album paru chez Budapest Music Center, on trouve des traces du trio. Dans la simplicité, la mélodie traînante et sablonneuse du soufflant. Sans sulfites, sans ajouts inutiles, sans exhausteurs autres que les frappes drues du piano, cadre puissant qui permet à Erdmann de s’échapper, voire de proposer à Takase des bribes de standards avortés. Le ton est donné.

Ce duo est fortuit, paraît-il : une envie née d’une rencontre dans un aéroport, concrétisée à l’été 2020 avec un matériel dédié, comme ce joli « Festa Magdalena » proposé par la pianiste qui ouvre le morceau avec un toucher très concertant, loin de ses visites d’Ornette Coleman avec Silke Eberhard ou Dolphy avec Rudi Mahall. Erdmann soudain devient plus direct, reprenant la tâche d’encadrement dévolue au piano. On est plus proche des tentations contemplatives que Takase exposait dans son récent solo, ce qui n’empêche pas le jeu, omniprésent : sur « No Particular Night or Morning », signé par la pianiste également, Erdmann et Takase se prennent à la course dans de courts échanges. Même « A Small Step For Me », instant mélancolique proposé par le saxophoniste, est l’occasion d’une belle intimité entre les musiciens, un profond respect, une empathie incroyable de la pianiste pour son vis-à-vis. Quelque chose aussi qui ressemble ou s’apparente aux trames narratives que Erdmann peut tisser avec Vincent Courtois et Robin Fincker.

Isn’t it Romantic ? C’est une réflexion qui vient souvent à l’esprit à l’écoute de ce disque fait d’amitié. C’est aussi un standard de Richard Rogers, tiré d’un film avec Maurice Chevalier, interprété ici avec une pointe d’ironie, loin de Chet Baker ou de Diana Krall. Est-ce un clin d’œil à la résidence française d’Erdmann ? C’est surtout une bluette faussement langoureuse que le duo s’amuse à étirer à l’excès avant qu’Aki Takase la fasse pétiller de la main droite. C’est un bon résumé d’un disque joyeux et coloré, à l’image des deux musiciens.