Chronique

Aki Takase

Carmen Rhapsody

Aki Takase (p), Mayumi Nakamura (voc), Vincent Courtois (cello), Daniel Erdmann (ts)

Label / Distribution : BMC Records

Carmen par des musiciens de jazz. L’idée n’est pas neuve. Spontanément, on pense évidemment à Laurent Dehors, qui fit claquer les doigts et les sièges de la corbeille de l’Opéra de Rouen dans une lecture drôle, iconoclaste et jouissive. Il y eut Dee Dee Bridgewater à Jazz à Vienne dans les années 90, mais la démarche était plus théâtrale. Il y eut Enrico Rava, qui entretenait la flamme de la cigarière. Aborder l’opéra dans la sphère du jazz, c’est d’abord le faire sien [1] ; c’est le postulat de Carmen Rhapsody. En quartet, réduit au plus simple et au plus souple, à l’image de « Shadow » qu’une discussion entre le violoncelle de Vincent Courtois et le piano de Aki Takase entraîne. Pour la voix, il n’y a que la mezzo-soprano nipponne Mayumi Nakamura, installée à Berlin comme Takase.

Pour Takase, l’oeuvre de Bizet n’apparaît que par fragments. C’est le violoncelle de Courtois qui en garde le souvenir le plus fort, et offre à Nakamura l’occasion de s’emparer du livret. C’est aussi lui qui introduit cette lecture de Carmen dans « Trio » ou dans « Intermezzo For Don José » où Daniel Erdmann et Courtois fusionnent leurs timbres dans une mélancolie lumineuse. Quant au « Prélude » dont se charge Aki Takase au clavecin, choix délicieusement anachronique mais qui souligne la pureté mélodique de Bizet, le chant de Nakamura nous révèle que ce Carmen Rhapsody est avant tout un hommage à l’indépendance du personnage créé par Prosper Mérimée. Aki Takase, à l’instar de Flaubert peut dire « Carmen, c’est moi » ; c’est encore plus sensible sur la belle lecture de « Night of Spade », où la puissance de la main gauche de la pianiste vient tracer la route de Carmen vers la liberté et l’émancipation. Des genres comme des contraintes.

Le choix de la Rhapsodie, pour sa connotation à la fois populaire et fantaisiste dans la musique écrite occidentale, n’est pas anodin. Dans les partitions les plus connues (« Carmen Chanson »), Takase et ses compagnons jouent avec le thème sans le bousculer, comme s’il s’agissait d’aller à l’essentiel. Il en va de même avec l’inévitable « Habanera » qui sert de conclusion au disque. Une rythmique martelée au piano préparé, comme des pas de danse, alors que Mayumi Nakamura se lance dans l’air célèbre. Qu’elle joue Dolphy ou Bizet, qu’elle soit avec Ingrid Laubrock ou lorsqu’elle enregistrait du Moussorgski avec le Tomoda Yoshiaki Chamber Orchestra il y a quarante ans [2], Aki Takase est libre. Comme Carmen.