Chronique

Alain Gerber

Blues

Tout autant écrivain DU jazz que DE jazz [1], spécialiste incontesté de cette musique, poète, essayiste, homme de radio [[Son émission « Le Jazz est un roman », sur France Musique, a hélas disparu), Alain Gerber se voue cette fois, dans ce Blues, aux sources de la musique afro-américaine, (du jazz avant le jazz), celles-ci étant liées à la condition des anciens esclaves dont il décrit la situation au moment de l’abolition suite à la Guerre de Sécession (1861-1865). Cinq personnages principaux, dont deux deviendront des musiciens - l’un pianiste virtuose, l’autre harmoniciste et guitariste - sont les protagonistes de cette saga du Sud racontée dans une langue poétique, chargée d’une rare émotion sans pathos ni grandiloquence.

Cinq portraits de personnages lâchés dans la nature dans un pays dévasté où la haine est présente dans le cœur des vaincus revanchards, et dont les « nègres » font les frais. Souffrance des déracinés comme celle de la touchante Cassie, partie avec sa fille à la recherche de son homme, souffrance de ces musiciens errants qui convergent vers la Nouvelle-Orléans, où naîtra grâce à elle et à leurs espoirs, à la foi, une musique jamais entendue et qui perdure : le blues.

« La musique est orgueilleuse. Elle ne tolère qu’on l’aborde ni de mauvaise grâce, ni dans la désinvolture », dira Nehemiah, le pianiste ayant tué le Maître qui se servait de lui comme d’un clown, mais dont il enviait le talent et le savoir (appris en cachette) devant ses copains racistes. « Le rythme est une sorcellerie. Sans lui, la musique en nous n’entrerait que par les oreilles ; grâce au rythme, elle pénètre tout notre corps », proclamera Silas qui perdra la vue pour une femme.

Splendide hommage à la musique, à cette musique et à tous ceux, connus ou inconnus, qui la vécurent, l’inventèrent et l’offrirent ; une musique qui, depuis, est devenue un véritable patrimoine culturel de l’humanité.