Chronique

Ed Palermo Big Band

Eddy Loves Franck

Ed Palermo (dir, arr, as), big band

Ed Palermo est un musicien trop peu connu en France, hormis du cercle de fans de Zappa qui suivent son parcours depuis 1994 : cette année-là eut lieu son premier concert de reprises, avec un Big Band [1]de facture assez classique, dans les clubs new-yorkais. Pour ce saxophoniste ténor repéré en son temps par Gil Evans et qui fut sideman chez Charles Tolliver ou Tito Puente, la mort de Frank Zappa est en effet un choc qui va l’inciter à flâner dans les denses partitions du maître afin d’en tirer des arrangements pour son orchestre… C’est ainsi qu’il évoque depuis quinze ans le divin guitariste, trois albums à l’appui.

Ce qui aurait pu passer pour l’exploitation assez nauséabonde du fond de commerce (d’autres s’en chargent !) est au contraire ici une démarche sincère à laquelle d’anciens musiciens du moustachu à la foisonnante carrière - tels Ike Willis ou Napoleon Murphy Brock - se sont de loin en loin associés. Il y a d’ailleurs plusieurs années que Palermo refuse d’inscrire le nom de Zappa sur ses affiches, pour ne garder de sa musique que l’inspiration tout en y instillant d’autres références en filigrane, de Chostakovitch à Spike Jones en passant par Ellington.

Sur ce troisième album d’interprétations orchestrales zappaïennes, Eddy Loves Franck, Ed Palermo, ses seize musiciens et ses invités revisitent sept compositions principalement tirées des albums où Zappa s’épanchait lui-même en grand ensemble. Pour autant, il ne tombe jamais dans le cliché jazz-rock de Waka/Jawaka ou du Grand Wazoo, écueil que de nombreux jazzmen n’ont pas toujours évité à l’occasion des hommages qui fleurissent ces dernières années. Les arrangements, souvent collectifs, s’intéressent notamment à la période 74-88, avec des pièces à l’écriture luxuriante comme « Don’t You Ever Wash That Thing ? » ou « Dupree’s Paradise , très écrites et surtout très flexibles, qui peuvent laisser libre cours aux torsions.

C’est sans doute avec « Echnida’s Arf (of You) » que Parlermo montre le mieux la direction souhaitée et par la même occasion toute la richesse de l’œuvre : en prenant des libertés par rapport à la partition originale - quand ce n’est pas en en prenant carrément le contrepied. Ainsi ce morceau très électrique devient-il un entrelacs de cuivres à l’ambiance cinématique où pointe aussi l’humour et la tendance parodique qui caractérise l’album entier, sans pour autant casser la dynamique et la puissance de l’original. Une relecture enrichissante qui offre de l’espace à la musique, notamment grâce aux parties de l’excellent tromboniste Charles Gordon.

La volonté d’éviter le plus possible les soli de guitare électrique résume tout l’état d’esprit de Palermo et de son orchestre : jouer avec enthousiasme la musique d’un génie sans volonté de le singer. Un enthousiasme que ne tempère même pas la très dispensable version du patriotique et traditionnel « America the Beautiful » - clin d’œil et clap de fin à l’œuvre de Zappa ; au contraire, elle donne envie de se replonger inlassablement dans les originaux…

par Franpi Barriaux // Publié le 23 novembre 2009

[1Ronnie Buttacavoli (tp), John Hines (tp), Steve Jankowski (tp), Charles Gordon (tb), Joe Fielder (tb), Matt ingman (tbb), Cliff Lyons (as, cl), Phil Chester (as, ss, fl, pic), Ben Kono (ts, fl, htb), Bill straub (ts, cl), Barbara Cifelli (bs, bcl), Bob Quaranta (p), Ted Kooshian (kbds), Bruce Mc Daniel (g, voc), Paul Adamy (b), Ray Marchica (dm), John palermo (g), Rob Paprozzi (hca), Veronica Martell (voc)