Chronique

Alexandra Grimal & Antoine Cegarra

La Vapeur au-dessus du riz

Alexandra Grimal (ss, voc), Lynn Cassiers (elec, voc), Sylvaine Hélary (fl, voc), Théo Ceccaldi (vla, voc), Atsuki Sakai (cello, voc), Bruno Chevillon (b, voc), Sylvain Lemêtre (perc, voc), Antoine Cegarra (livret)

Label / Distribution : Ovni

« Je ne crois ni à la vitesse, ni à la mode, ni aux stratégies », nous disait Alexandra Grimal dans un récent interview. The Monkey in The Abstract Garden, sorti il y a quelques mois, en disait déjà long sur cette déclaration. Alexandra suit son petit bonhomme de chemin avec une certitude, une esthétique et une sincérité qui est la sienne, à elle, mélange d’expérimentations très pointues et d’un plaisir enfantin, rêveur, empli d’une imagination colorée et joyeuse. C’est le cas ici, avec un orchestre et un instrumentarium choisis : alors que ça chuchote dans « 3 » de la partie Ébullition, et que la voix séraphique de Lynn Cassiers vient dominer le violoncelle d’Atsuki Sakaï, le silence qui se fait vient apporter toute une nébuleuse poétique. La Vapeur au-dessus du riz est au cœur de l’univers de la saxophoniste, qui troque plus souvent que jamais son fidèle soprano pour cette voix diaphane, reconnaissable entre mille. Elle nous emmène au seuil de l’invisible, sur des textes d’Antoine Cegarra. Ou plutôt le livret, puisqu’il s’agit d’un opéra, fut-il clandestin. « J’ai le goût des incertitudes », assène-t-elle dans « 4 », dans une brume électronique ; nos sens s’égarent.
 
La Vapeur au-dessus du riz est donc un opéra. L’argument est nébuleux, mais c’est bien volontaire. Cette vapeur, c’est l’intangible. C’est l’impalpable. C’est l’alto de Théo Ceccaldi, aérien et sans excès, qui vient se lover sur la flûte de Sylvaine Hélary, brillante et lumineuse. Les rôles sont distribués, les voix se répondent. Dans « 10 » de l’acte Évaporation, le violon de Ceccaldi a quelque chose de lunaire, une lumière livide vient éclairer la nuit et jouer avec le violoncelle et la basse de Bruno Chevillon, à peine sensible. On perçoit, même sur le disque, une tension scénique, des déplacements. Pour ce disque, Alexandra Grimal a de nouveau fait appel à Céline Grangey qui parvient à restituer toutes les dynamiques, à capter la poésie de l’imperceptible, puisque c’est ce qu’on nous invite à découvrir. L’infiniment petit de tous les sentiments, comme ces percussions tintinnabulantes de Sylvain Lemêtre qui viennent jeter un sort sur « 11 » et nous emmener dans une direction opposée. Ou bien au gré du vent.
 
On songe, de loin en loin, à Petite Moutarde de Théo Ceccaldi où Alexandra Grimal était déjà présente. Beaucoup d’éléments, ceux d’une approche totale qui mélange musique, texte et dispositifs scénographiques, s’y trouvaient déjà. On retrouve aussi un goût pour les formes minimalistes, pour des haïkus qui s’affranchiraient même de leur forme métrique. Mais c’est bien dans sa dimension opératique que La Vapeur au-dessus du riz se distingue. Ce n’est pas lyrique, loin de là, les voix sont chuchotées mais se répondent, se mettent en scène. Il y a un décorum, une intention qui se révèle vraiment dans le troisième acte, Dissipation. La vapeur s’écarte ; elle nous révèle, au sens de la photographie, le long songe que nous avons traversé. Les cordes sonnent un retour progressif vers le réel. Sylvaine, l’Archéologue, celle qui sonde les rêves, y est brillante, c’est elle qui ouvre la voie vers un silence moutonneux, vers l’oscillation infime de « 3 ». « Et rien ne subsiste que l’éternelle splendeur du vide animé », tranche le livret. On ne saurait mieux conclure.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 février 2021
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