Sur la platine

Jadis, sur une péniche improviste

Alexandra Grimal et Edward Perraud publient leur concert de 2014, sur l’Improviste.


Le constat est loin de nous déplaire : Alexandra Grimal traverse une période d’abondance en terme de propositions discographiques. Pour donner suite à Monkey in the Abstract Garden au côté de Benjamin Levy, à Down the Hill avec le fidèle Giovanni di Domenico, ou encore à l’opéra poétique La Vapeur au-dessus du riz, trois disques parus durant l’année 2020, voici qu’elle partage sur Bandcamp uniquement un enregistrement capté il y a six ans au côté d’Edward Perraud.

Explorant avec gourmandise les capacités des saxophones sopranino, soprano ou ténor, elle entraîne avec elle son partenaire dans une déambulation improvisée qui ne vire pas à la promenade hiératique mais, bien au contraire, déroule une pensée structurée dans le temps de son exécution. A partir du timbre des instruments, elle se positionne naturellement en rapport à leur caractère propre et devient, tour à tour au sein d’un souffle continu et coulant, délicate et fragile ou plus dense et imposante. La précision de son phrasé lui permet tout à la fois d’articuler des idées subtilement agencées et de gommer les systèmes qui les engendrent.

Moins provocateur que soutien indéfectible, Edward Perraud donne à entendre la richesse de son jeu dans cet art de l’improvisé qu’il maîtrise pleinement (et qu’il délaisse un peu ces derniers temps). Il fait chanter sa batterie comme un instrument harmonique et avance un tapis de propositions stimulantes qui souligne ou dérive autour des saxophones de sa partenaire. Art du contre ou soutien swinguant, voire atmosphère diaphane sur le haut des cymbales, il innerve de toutes parts le propos du duo sans jamais dénaturer le sens de la promenade proposée.

Conclue par un conte récité par Alexandra Grimal, la ballade rêveuse s’attache à investir un entre-deux du temps. Pleinement dedans pour le vivre au plus brûlant mais avec un pas de côté toutefois, pour le placer dans un moment de suspens intellectuel. Cette stylistique ouvre la voie à une méditation gracieuse et rejoint une forme d’approche bouddhiste dont le terme unsui est issu. A la fois nuage et eau, forme et substance, la musique devient une métamorphose permanente et le glissement imperceptible d’un état à l’autre.