Chronique

Lynn Cassiers & Alexandra Grimal

Hybrids - Hi birds

Lynn Cassiers (voc, elec, fx), Alexandra Grimal (ss, voc)

Label / Distribution : Autoproduction

Lorsqu’on entend, séparément, les deux musiciennes qui proposent Hybrids – Hi Birds, on a l’impression d’un grand jeu, d’un terrain immense aux portes de l’enfance où l’on oublie raison et cartable ; c’était l’atmosphère de Yun, le magnifique album de Lynn CassiersAlexandra Grimal n’était pas. C’était ce qui sous-tendait La Vapeur au-dessus du Riz, le dernier album d’Alexandra Grimal où Lynn Cassiers était, puisqu’il est entendu que ces deux-là ont plus qu’un monde en commun. On appelle ça un univers. Il suffit pour s’en convaincre de laisser le saxophone soprano, léger comme une plume, s’envoler dans les courants électriques sur l’introductif « Uninhabited Spaces », d’autant que la voix transmuée de Cassiers, fardée d’électronique et étrangement spectrale, satellite perdu dans une trajectoire aléatoire, est rejointe par la diction traînante et flûtée de Grimal récitant un texte tiré de La Vapeur au-dessus du Riz mais retravaillé, retransformé, appelant d’autres nuages étrangement plus sucrés. On est dans une nébuleuse entre Andromeda et Flying Nimbus. Etrangement peuplée.

Ce sont des oiseaux, des oiseaux électriques qui occupent cet espace. On les entend chanter dans « Hi Birds », passant comme des flèches dans un ciel lourd. Lynn Cassiers texture à merveille les vols plein de courbes de la saxophoniste, jouant avec toute la masse du silence, multipliant les effets de stéréo pour ajouter des effets en plusieurs dimensions. Plus de trois, c’est l’évidence. On pourrait penser que l’air et lourd et pesant, difficilement respirable, mais c’est compter sans le goût pour les couleurs et la joyeuse rêverie des deux improvisatrices. Même lorsque les choses deviennent plus complexes et lestées de sons plus acides, comme ce « Papier Mâché Total », il y a un plaisir turbulent de la bousculade. Les musiciennes jouent avec leurs appareils et leurs instruments avec gourmandise, sans pour autant se perdre dans les boutons et les postures, juste guidées par un imaginaire commun. On repense aux flottements sinueux, comme les sauts d’une marelle de la petite fille de Yun. Ce disque en est un prolongement ou, comme pour la Vapeur au-dessus du Riz, une perspective différente faite des mêmes matériaux

Cette atmosphère n’est pas apparue de nulle part, elle est travaillée depuis des années par Lynn Cassiers et Alexandra Grimal qui en ont fait une marque de création commune où les marges semblent infinies et en perpétuelle expansion ; c’est le propre de l’Espace. On est bien évidemment dans une proximité avec l’univers d’Octurn, auquel Cassiers est si attachée, mais elle ne s’arrête pas à cette seule référence, quand bien même les bouffées de fièvre de « At The Far End of Our Jolly Spare Time » et ses sons irréels et joliment insistants y font durablement penser. De loin en loin, un morceau comme « Call Me » pourra faire songer à certaines expériences des premières Mothers of Invention de Zappa, qui ne sont pourtant pas une référence cartographiée. La sororité de ces créatrices, cette fascination pour les scènes hypnotiques et quasi-immobiles, telles des méduses lumineuses (« Behold The Jellyfish Choir ») ne peut se limiter à quelques ingrédients parsemés. C’est une musique qui leur appartient en plein. Belle et dérangeante, comme on les aime.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 mai 2021
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