Chronique

Amado / Serries

Jazzblast

Rodrigo Amado (ts), Dirk Serries (g)

Label / Distribution : Raw Tonk

Il est des rencontres qui sont l’évidence même, de l’ordre de l’inévitable. Celle du guitariste belge Dirk Serries et du saxophoniste lusitanien Rodrigo Amado en fait partie. Deux amateurs du remous, des improvisateurs sans limite qui se retrouvent sur le label Raw Tonk dans une édition émaciée, à l’image de la musique contenue. Un parallélisme des formes bienvenu enregistré au Pays-Bas, dans un lieu nommé Jazzblast, qui donne son nom à l’album. Une bulle de liberté en deux parties sans round d’observation. La guitare électrique entre tout de suite dans la construction d’un son tranchant et d’une sécheresse extrême. Le ténor répond en faisant tournoyer un souffle plein de scories, comme une tempête de sable. Les conditions d’un désert, où l’infime résonne parfois très loin et où la survie tient à un fil.

C’est tout le sujet du premier set, qui atteint la demi-heure et avance parfois à pas comptés. Comment ça ? L’alliance de ces deux têtes brûlées, habituées à jouer avec Joe McPhee ou John Dikeman, ne serait pas faite que de bruit et de fureur ? Qu’on se rassure, il y a des instants où l’on est ballotté par la violence des échanges. Au mitan du premier set, il y a une montée en pression où la guitare se rebelle, punkise presque sous les assauts répétés du saxophone. Mais c’est une échauffourée, un coup de tabac, et l’accalmie vient vite, sans cependant dissiper la tension. Le saxophone s’efface, laisse Serries redessiner un terrain de jeu anguleux et plein de chausse-trappes. Pour mieux revenir en puncheur dont les coups de boutoir font mouche à chaque fois.

Le duel est intense, mais il n’est pas fait de pression continue. On trouve même de la concorde et une alchimie particulière qui se développent dans le plus court second set, plus taiseux. Là, c’est Amado qui ouvre le bal, avec de rapides décharges ponctuées de silence que Serries reprend à son compte. L’auditeur est à l’affût. Une telle rencontre ne peut rester unique. Serries et Amado ont beaucoup de choses à se dire. On aimerait les entendre avec un tiers, comme par exemple le batteur Chris Corsano, qui s’épanouirait dans un tel climat, propice à la rocaille. En attendant, le soleil est au zénith, et Jazzblast rôtit en plein cagnard. Un disque à déguster brûlant, et très épicé.

par Franpi Barriaux // Publié le 2 février 2020
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