Portrait

Les enchevêtrements irréversibles d’un label libertaire

International Anthem est un label de Chicago qui donne à entendre des musiques libres, héritées de la musique noire américaine des 60’s.


Universal Being

Makaya McCraven, Jaimie Branch, Ben LaMar Gay, Angel Bat Dawid, Emma-Jean Thackray, Jeff Parker… ces noms ont en commun de faire partie de l’écurie (comme on disait dans le temps) du label International Anthem (avec comme nom « Hymne international », on sait déjà chez qui on est !), un label basé à Chicago et propulsé avec énergie par les producteurs David Allen et Scott McNiece. Ce dernier répond à nos questions pour présenter l’esprit du label, son économie et ses projets. Pas de langue de bois, ici on se remonte les manches et on se serre les coudes.

- Scott McNiece, avez-vous toujours travaillé dans la musique ? Dans le jazz ou la musique improvisée ?

J’ai travaillé dans la musique toute ma vie. J’ai commencé à jouer de la musique quand j’avais 5 ans. J’ai commencé à promouvoir des spectacles pour mon propre groupe quand j’avais 17 ans, puis à booker des tournées pour mes groupes à 21 ans. J’ai toujours été un fan de jazz, j’ai joué de la batterie dans un groupe de jazz au lycée… Mais en tant que musicien, j’ai toujours joué dans des groupes de rock, de punk et de métal. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à programmer une série de concerts de jazz dans un bar où j’étais barman, en 2011 à l’âge de 26 ans, que j’ai commencé à m’impliquer activement sur la scène jazz, expérimentale et improvisée de Chicago.

- Comment le label International Anthem est-il né ? Et d’où vient son nom ?

J’ai trouvé « International Anthem » pour nommer un enregistrement de musique improvisée que j’ai fait avec mon amie Becky Levi en 2009. J’ai toujours aimé le son des mots et j’ai aimé le sens implicite : diversité et unité… dans une chanson, ou dans la musique. Je l’avais gardé dans un coin de ma tête pour le réutiliser pour quelque chose d’important. Quand David Allen et moi avons commencé à parler de créer une maison de disques, je lui ai demandé ce qu’il pensait de « International Anthem ». Il était pour. J’ai demandé à nos premiers artistes Rob Mazurek et Makaya McCraven ce qu’ils pensaient de ce nom, ils l’ont aimé aussi. Alors, on a foncé.

- Votre label a comme vitrine principale une page Bandcamp. Quel est l’avantage de Bandcamp pour vous ?

Clairement, c’est Bandcamp qui a rendu notre affaire possible.

- Est-ce que la vente de vinyles fonctionne ?

Oui, c’est essentiel pour notre survie en tant que label. Et je pense que le vinyle est important pour créer une expérience musicale de plus grande valeur. Je pense que les gens prennent le son plus au sérieux, et écoutent beaucoup plus rituellement quand la musique est sur vinyle que sur CD.

Nous choisissons de travailler avec des artistes qui, en général, ont une âme militante et font une musique progressive et socialement engagée

- Qu’en est-il de la conception des documents ? Chaque artiste choisit la couverture ? Avez-vous un graphiste dédié ?

David Allen et moi nous occupons de la direction artistique pour chaque sortie, et nous collaborons avec de nombreux artistes et designers différents. Nous avons un designer régulier, Craig Hansen, qui a conçu notre logo et les éléments de notre marque, et qui gère toutes les normes de notre marque à chaque sortie - il y a une certaine cohérence entre toutes nos sorties. Mais nous travaillons avec beaucoup d’artistes différents sur les pochettes et l’arrière des albums, afin que chaque sortie puisse avoir sa propre identité visuelle. Nous avons quelques artistes préférés à solliciter. Damon Locks a fait 5 ou 6 pochettes d’albums pour nous et Raimund Wong en a fait trois. Craig Hansen a même conçu une poignée de pochettes d’albums. Rob Mazurek peint toutes ses propres pochettes d’album. Tout dépend des particularités de la sortie, de ce que l’artiste veut, de ce qui nous semble bien et de ce qui fonctionne.

David Allen et Scott McNiece © Julia Dratel

- Il y a une esthétique libertaire et militante qui émerge du catalogue du label, comme un mouvement de protestation politique et musicale. Est-ce intentionnel ?

Oui, nous donnons la priorité aux musiques qui tentent de répercuter les luttes humaines de notre époque. Nous choisissons de travailler avec des artistes qui, en général, ont une âme militante et font une musique progressive et socialement engagée. La musique est un puissant moyen de résistance, et comme le fascisme et le fondamentalisme deviennent une menace croissante pour l’humanité, je pense que c’est notre devoir en tant que facilitateurs de musique, en tant que personnes ayant une plate-forme pour que la musique soit entendue. Il est de notre devoir d’amplifier la musique qui parle de ces luttes et celle qui peut alimenter les mouvements humanistes.

- Vues de France, les propositions artistiques d’International Anthem sont fantastiques, radicales et assurent une continuité avec la musique noire des années 60 et 70. Vous en avez conscience également ?

Nous travaillons avec beaucoup d’artistes noirs, dont beaucoup ont le sentiment d’appartenir à cette lignée, ou d’avoir un lien fort avec les traditions établies par les artistes noirs radicaux des années 60 et 70… Et beaucoup d’entre eux ont un lien très littéral avec ces artistes, en tant que protégés de l’AACM et des courants annexes.

Il est de notre devoir d’amplifier la musique qui parle de ces luttes

- Peut-on être impliqué dans la musique créative à Chicago sans être connecté à l’AACM ?

Oui.

- Les musicien.ne.s du label semblent former une sorte de famille (ils jouent souvent ensemble), vous encouragez ça ?

Oui, notre responsabilité première en tant que label est de faciliter l’émergence d’une communauté de musicien.ne.s en pleine croissance.

- Quel est votre lien avec la France ?

Je suis déjà venu une fois en France, nous avons présenté un showcase de nos artistes pendant 2 soirées au New Morning en novembre 2018. Il y avait 20 artistes de notre label à Paris pendant quelques jours. C’était un grand moment !

- Comment voyez-vous l’avenir du label ?

Nos activités évolueront mais resteront guidés par les principes que nous avons depuis le premier jour. J’espère donc que l’avenir nous réserve le même genre de travail, fait de la même façon, mais - avec un peu de chance – avec une stabilité financière plus solide pour les artistes comme pour nous.

- Quels sont les projets ?

Nous avons beaucoup de choses pour l’horizon 2020, ce sera notre année la plus active à ce jour. Un premier disque de Junius Paul. Un nouvel album de Jeff Parker & The New Breed. Une collaboration avec nos camarades britanniques Total Refreshment Centre et Lost Map pour la sortie des instrumentaux d’Alabaster dePlume. On prépare un deuxième album d’Irreversible Entanglements, la suite d’Universal Beings de Makaya McCraven… Et bien d’autres choses encore.

- Si vous aviez tout l’argent nécessaire à dépenser, que voudriez-vous faire pour/avec le label ?

Je mettrais en place un système d’assurance maladie d’entreprise pour que nous puissions fournir une couverture maladie à tous les artistes avec lesquels nous travaillons. Si le gouvernement américain n’est pas en mesure d’adopter une loi sur les soins de santé universels dans les prochaines années, l’accès aux soins pour les personnes « non riches » en Amérique continuera à se détériorer jusqu’à ce qu’il devienne très difficile de survivre ici.