Chronique

Anguish

Anguish

Will Brooks (dälek) (voc, synth, elec, fx), Mats Gustafsson (ts, elec, fx) Hans Joachim Irmler (synths, voc), Mike Mare (g, elec, synth), Andreas Werliin (dms, perc)

Label / Distribution : RareNoise Records

Quiconque a déjà eu des crises d’angoisse, des vraies qui durent, sera certainement marqué par le synthé vintage et dissonant qui s’insinue ici dans une boucle lancinante. Il n’y a guère d’espoir dans « Brushes For Leah » où le piano qui s’épanche dans un flux d’électronique semble se resserrer autour de l’auditeur. Bienvenue dans le premier album d’Anguish, alliance a priori improbable d’un des groupes de hip-hop les plus radicaux de l’époque (Dälek et son leader Will Brooks, amateur de climats sombres et suintants), le clavier d’un orchestre krautrock mythique (Faust, représenté par Hans Joachim Irmler) et hérauts du free suédois (Mats Gustafsson au ténor fiévreux et Andreas Werliin, le batteur du Fire ! Orchestra). L’attelage pourrait être invraisemblable, il est au contraire plein de ressource et d’invention.

Gustafsson serait en droit d’aller chercher le cri ; il joue davantage dans le souci constant de texturer le flow de Dälek de sons monochromes et inquiétants, perclus d’électronique. Pour l’accompagner, voire le doubler, Mike Mare, le guitariste de Dälek s’installe dans un bruitisme psychotrope qui fait souvent mouche. Ainsi dans « Healer’s Lament », c’est lui qui densifie la parole traînante de son leader lancé dans un spoken word troublant. Entre Dälek et Faust, il y a 50 ans et des parcours différents, mais pourtant on perçoit une continuité, une approche commune dont la liberté farouche du saxophone serait le liant, à la fois fébrile et instable. Un morceau comme « A Maze of Decay », qui crépite telle une décharge électrique, en est un parfait exemple : la brutalité ne naît pas forcément de la violence du rythme ou des cassures soudaines, elle sait aussi se forger dans le pas lourd et impavide d’une hallucination sépulcrale et proche du metal (« Wümme »).

Bon courage à quiconque voudra chercher des étiquettes à ce quintet qui peut tout à la fois proposer un hip-hop relativement classique veiné de guitare et de ténor entremêlés (« Cyclical/Physical ») et des instants plus psychédéliques. RareNoise Records propose pour ce premier album un climat comme les aime le label : inclassable et précieux, où les impressions premières peuvent être vite balayées. Troublant.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 avril 2019
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