Scènes

Anticyclone trio fait le job et même plus

Anticyclone trio et son jazz climatique étaient à Job Toulouse pour repousser toute sorte de nuages.


Photos par Michel Laborde

Programmer Anticyclone trio au mois de novembre relève-t-il de la méthode Coué ? Car ce soir-là, il fait bigrement froid aux Sept-Deniers, le quartier de Toulouse qui abrite la salle Job.

Job, c’est avant tout l’histoire d’une usine de fabrication de papier couché qui a vécu les phases, malheureusement bien connues, de malversations et escroqueries successives qui ont achevé la bête. A la clé, des licenciements, des mobilisations et la fermeture définitive de l’usine en 2001, laissant les derniers ouvriers sur le carreau. Reste le bâtiment, une perle art déco des années 1930, qui abrite maintenant, outre divers équipements municipaux et associations, une école de musique : Music’Halle, et une salle de concert. Reste aussi le nom. La place a bien failli perdre jusqu’à son identité, la municipalité ne trouvant rien de mieux que de la rebaptiser du nom de l’entraîneur du Quinze de France. De nouvelles mobilisations ont eu cette fois raison de la proposition rugbystique. Ouf !

Frédéric Cavallin par Michel Laborde

C’est donc ici, dans ce lieu chargé de militantisme industriel et culturel, que la Saison bleue programmait son second concert de l’année. Et pour son programmateur, Anticyclone trio c’est avant tout Frédéric Cavallin, même si la formation était à l’origine un duo entre le pianiste et la saxophoniste. En effet Alain Lacroix suit le batteur depuis 2004 et ses débuts avec Pulcinella. À raison, car Frédéric Cavallin manie baguettes et balais avec une sensibilité exacerbée et un grand sens de la mélodie. Ne dit-il pas lui-même qu’il balaie les nuages ? Anticyclone trio à Job, c’est en effet et avant tout une très belle poésie.

Il y a quelque chose d’un peu foutraque dans le concert. Très vraisemblablement parce que le piano de Marek Kastelnik, qui laisse volontairement apparaître les marteaux de l’instrument, ainsi que les tenues bigarrées des musiciens donnent une touche clownesque. Mais il ne s’agit pas de provocation. Si la musique est décalée, elle est en même temps très sérieuse. Ni rigolade, ni pitrerie et si les musiciens revendiquent de faire une musique « qui agit sur le climat », c’est pour souligner qu’en questionnant l’art météorologique, ils repoussent les frontières du réel. Eux-mêmes disent être des travailleurs de LAME pour Laboratoire d’Action MÉtéorologique. Tout est dit et sur scène, c’est très onirique, débridé, avec des touches baroques et lyriques notamment quand vocalise Charlène Moura. Le registre utilisé est très large : ça susurre autant que ça gronde. C’est à la fois très cinématographique – entend-on à la sortie du concert –, bourré d’humanité et d’empathie. Les motifs qui se succèdent et les ruptures malicieuses concourent à une narration dont la couleur est à la fois surréaliste et impertinente.

Marek Kastelnik par Michel Laborde

Le groupe manie l’art du crescendo et du decrescendo, tout cela agrémenté de mille et un débordements bien amenés. Dans les papotages d’après-concert, on entend quelqu’un dire que cette musique fait ressortir l’enfant qui est en nous. Et c’est vrai : il y a quelque chose qui célèbre la liberté de ceux qui sont en culottes courtes.

Sur la scène de Job, les trois saltimbanques plantaient le décor d’un univers bariolé, délibérément candide, pour pouvoir prendre l’utopie à bras-le-corps afin qu’elle devienne réalité. Belle touche de soleil d’entre les nuages, non ?