Entretien

Joachim Govin, contrebassiste du présent

Entretien avec le contrebassiste à l’occasion de la sortie de Present, son second album

Joachim Govin © Christian Taillemite

Nous avons rencontré - à distance - Joachim Govin à l’occasion de la sortie de Present, son second album enregistré à la Boutique du Val à Meudon avec Ben van Gelder, Gautier Garrigue, Tony Tixier (ces trois-là étaient déjà du premier album), Enzo Carniel et Ellinoa.

- Votre nouvel album s’intitule « Present ». Pourquoi ?

Il s’agit du titre d’une composition de Tony Tixier qui ouvre l’album. Mais le mot me parle car j’aime cette idée d’être dans le temps présent, de se recentrer. De plus dans le jazz, avec l’improvisation, on est dans le présent. Et puis un présent, c’est aussi un cadeau. C’est pour toutes ces raisons que j’ai choisi ce mot pour intituler mon disque. Sur mon dernier disque, il y a des compositions et des reprises et parmi celles-ci, il y a des standards et une chanson de Björk.

- C’est un titre court, comme pour Elements, votre précédent album

Oui c’est un titre court, un seul mot chaque fois et ce sont des mots qui existent à la fois en anglais et en français avec la même orthographe, accents exclus. Je ne sais pas si c’est un hasard. Peut-être pas.

Joachim Govin © Christian Taillemite

- Comment a germé l’idée de Present ?

Il s’agit d’un enregistrement live. J’ai enregistré lors d’une carte blanche que m’a offerte Jean-Rémy Guédon. C’est un saxophoniste que je connais depuis toujours. C’est un ami de mon père (Pierre-Olivier Govin). Il a ouvert la Boutique du Val à Meudon où j’avais déjà joué plusieurs fois. Et puis Jean-Rémy m’a proposé cette carte blanche organisée autour d’un trio de base que j’ai constitué avec Gautier Garrigue et Ben van Gelder. Le premier soir on a joué en trio. Puis les deux suivants on a invité Enzo Carniel, Ellinoa et Tony Tixier.
J’ai également fait venir Julien Bassères, l’ingé-son du studio de Meudon sur les deux derniers soirs. C’est lui qui a tout enregistré mais aussi mixé et masterisé. J’avais dix-huit morceaux. J’en ai gardé dix, pour moitié des compositions et pour moitié des reprises. Tout l’album vient de là.

- Vous êtes fidèle au label Fresh Sound New Talent et j’imagine que ce n’est pas un hasard.

J’aime ce label depuis que je connais le jazz. J’aime son esthétique, la musique qui y est publiée. De plus Jordi Pujol aime travailler sur la longueur avec les artistes. Il leur fait confiance. Il intervient peu. C’est pour ça que j’y suis bien.

- Sur votre premier album, avec le visuel, il y avait un clin d’œil aux disques de Blue Note

Là c’est plutôt ECM. La typo, l’épure, j’avais ça en tête. C’est Tony qui a fait la photo et Barbara, ma sœur, qui a fait la conception graphique. C’est la même équipe que pour Elements et c’est une équipe qui gagne. Ce qui a changé c’est la prise de son. Julien a tout fait, enregistrement, mixage, mastering alors que pour Elements, j’avais scindé ces étapes en trois avec trois intervenants distincts.

- Les standards et les compositions, ce sont deux mots qui reviennent régulièrement chez vous

Je suis attaché à cette idée de tradition du jazz. Je suis attaché à son histoire discographique, à ses éléments immuables et j’aime l’idée que cette musique change tout le temps, qu’elle se joue au présent. Il y a un mélange systématique entre tradition et modernité. Miles Davis en est un super exemple. Il a joué des années 1940 aux années 1990 mais il a tout le temps joué avec des musiciens qui avaient entre 15 et 30 ans.

Joachim Govin © Christian Taillemite

- Vous êtes attaché au jazz et à son histoire mais je crois que la musique brésilienne est très importante pour vous

J’aime allier l’intellect à l’instinctif. C’est ce que je retrouve chez Toninho Horta ou Milton Nascimento par exemple. Il me semble qu’ils sont dans une démarche où la construction intellectuelle de la musique est faite pour que l’émotionnel soit démultiplié. C’est quelque chose que je retrouve aussi chez certains contrebassistes que j’admire, Ben Street, Matt Brewer ou encore Harish Raghavan. J’aime leur côté mélodique. Ils font chanter leurs phrases. Il y a quelque chose d’organique, de vivant, d’habité. Et puis ce sont des improvisateurs hors pair, ce qui n’est pas le cas de bon nombre de contrebassistes.

- L’improvisation vous tient à cœur ?

Beaucoup. Mon père a façonné mon monde musical. Lui est saxophoniste et j’ai écouté énormément de saxophone. John Coltrane, Charlie Parker, Logan Richardson, Kenny Garrett. Les phrases mélodiques, le langage intérieur, tout ça est constitutif du musicien que je suis. A un moment, j’ai eu un problème au bras. Pendant un an et demi je n’ai pas pu jouer la contrebasse. Au lieu de jouer avec mon instrument, je chantais intérieurement, tout le temps.

- Le choix des musiciens est loin d’être anodin. J’imagine qu’on ne fait pas appel à Ben van Gelder sans être admiratif de sa manière de jouer.

J’ai connu Ben quand il avait quinze ans. Il y avait Myspace et je le suivais comme ça. J’avais flashé. A l’époque il jouait beaucoup en trio, sans instrument harmonique, et il postait régulièrement des morceaux sur son myspace. Moi je les téléchargeais et j’écoutais constamment. Il a réellement toutes les qualités que j’évoquais en début d’entretien. Il y a beaucoup de lyrisme, une grande maîtrise également. C’est un vrai chercheur. Il vient de l’école Lee Konitz mais il me semble qu’il y ajoute de la chaleur, de l’expressivité. C’est en plus un très grand improvisateur qui a développé le suraigu à l’alto.
Quant à Gautier Garrigue ou Tony Tixier, ce sont des musiciens avec qui je joue depuis longtemps. Avec Tony on a tellement joué ensemble qu’on se connait par cœur. Je connais depuis moins longtemps Enzo Carniel et Ellinoa. Mais ils ont tous les qualités musicales qui sont essentielles pour moi, celles que je citais. Faire chanter son instrument, sa voix, l’expressivité, le côté organique, fougueux aussi.