Scènes

Luttes des classes et luttes de jazz à Uzeste

Compte-rendu d’une journée à l’Hestejada de Los Arts, le festival d’Uzeste Musical


Une journée uzestoise, entre lutte des classes et sarabande jazzistique. Le cahier des charges « poïélitique » (l’un de ces néologismes dont Bernard Lubat a le secret), loin d’être un carcan imposé, s’incarne dans les mots et les notes, entre la parole et le rythme. C’est que le jazz est partout en ce lundi d’août. On le sait, l’Hestejada de Los Arts bouscule le temps !

Le matin, dans la salle des fêtes de la petite bourgade gasconne, le jazz est dans la voix de Colette Magny, qui résonne dans le film Rhodia 4/8, court-métrage issu des ateliers du groupe Medvedkine, ce collectif de cinéastes prolétaires du début des années soixante-dix. Une façon de rappeler ce que le jazz doit au Travail, dans la lutte de ce dernier contre le Capital.

En début d’après-midi, il s’immisce dans les propositions guitaristiques de Fabrice Vieira, où dans sa grange, il livre une lecture musicalisée de « L’Etabli » de Robert Linhart, enveloppant la voix de Martine Amanieu d’accords improbables et de rythmiques d’ailleurs. Le texte original étant un manifeste contre l’aliénation à l’usine, il faut bien faire preuve de cette « intranquillité » lubatienne dont le guitariste se saisit avec délectation pour mieux en faire ressortir la portée émancipatrice.

Et si le trio Anticyclone était là pour nous rappeler que le jazz le plus déjanté était une manière de lutter pour… la justice climatique ? La voix et le saxophone absolument déjantés de Charlène Moura, tantôt lyriques, tantôt bluesy, se fondent dans un ouragan de déconstructions atmosphériques, portés par le piano envolé de Marek Kastelik et la batterie nuageuse de Frédéric Chevillon, dont la verve humoristique n’obère pas le sens du swing. Il y a en tout cas de l’humour et de l’amour à revendre dans cette marche déconstruite à la façon d’un cake-walk absurde, comme un sort adressé aux prophètes de malheur qui jouent de nos effrois climatiques.

Anticyclone trio (Joël Lunmien)

Las, la pluie fait des claquettes sur le duo d’impro de Thibault Cellier (ce jeune contrebassiste membre de Papanosh a décidément un son d’une ampleur insoupçonnée) et d’Antonin-Tri Hoang au saxophone alto. Au détour d’une tempête musicale, cependant, une variation sur « Lorraine » d’Ornette Coleman fait écho aux rires des minots sous l’averse. Écourté mais intense.

La soirée à l’Estaminet, l’antre lubatien, aligne un duo théâtralisé : « Rentrée littéraire » et, ce qui intéresse le chroniqueur ici, le projet « Prévert Parade » : rien de moins que la rencontre entre le collectif de fous furieux normands Papanosh et le vocalchimiste béarnais, longtemps pilier de la Compagnie Lubat, André Minvielle. Ce dernier chante, scatte, rappe les vers du poète pendant que les musiciens les font s’échapper de tout cadre (mais en avaient-ils un à l’origine ?), ayant pour l’occasion composé un de ces répertoires déstructurés dont ils ont le secret. N’empêche, une pulsation que d’aucuns qualifieraient de « swing » irrigue les propositions, notamment sur un « Étranges Étrangers » dont le propos, plus que jamais d’actualité, avait déjà fait l’objet d’une livraison par le chanteur sur son dernier opus. Là, pourtant, le chanteur prend des risques, joue au chat et à la souris avec l’orchestre, pour terminer solo dans une de ces mélopées universelles dont il a le secret. La recette ?
Une douzaine d’huîtres un citron un pain
un rayon de soleil
une lame de fond
six musiciens
un raton laveur

(Jacques Prévert, Inventaire, Paroles)