Chronique

Mike Reed

Flesh & Bone

Mire Reed (dms), Greg Ward (as), Tim Halderman (ts), Jason Roebke (b), Ben Lamar Gay (tp), Jason Stein (bcl), Marvin Tate (voc)

Label / Distribution : 482 MUSIC

Certains disques ont une histoire incroyable, et cette dimension rocambolesque se retrouve dans la musique. Flesh & Bone, la dernière parution de Mike Reed est de celles-ci. Une succession d’événements qui se transforme ici en énergie, entre colère et dérision, comme en témoigne « Voyagers », le morceau inaugural. Le batteur, accompagné de la basse athlétique de Jason Roebke, contrôle une rythmique farouche, intrépide, qui convoque les esprits frappeurs de Mingus et de Kirk pour conter l’impensable : le périple d’un quartet à moitié africain américain qui débarque par erreur, suite à une malveillance d’un chef de gare au cheveu ras, dans la gare d’une bourgade tchèque où se tient une manifestation néo-nazie et qui s’en retourne, sous protection policière, à Varsovie, sa destination initiale. Bienvenue en Europe, semble tonitruer la brillante alliance de soufflants que composent l’alto de Greg Ward et le ténor de Tim Holdeman, soutenus ici par la clarinette basse de Jason Stein avec une pointe d’ironie. Une posture de mouche du coche que ce remarquable clarinettiste tenait déjà dans Cinema Spiral, l’album en octet de Roebke.

Flesh & Bone est trapu, à peine une quarantaine de minutes pour onze titres très courts où Reed, entouré d’une (avant-)garde chicagoane, fonce droit au but et échauffe l’atmosphère avec une réelle jubilation. Le voyage périlleux n’est qu’un prétexte, mais il donne le ton au reste. Le turbulent « A Separatist Party », où une rythmique gourmande s’adjoint la trompette boutefeu de Ben Lamar Gay, en est la parfaite illustration. En deux petites centaines de secondes, le quartet et ses trois invités font la démonstration d’une force de frappe qui n’est jamais musculeuse mais toujours bravache, dans la tradition d’une certaine forme de jazz de combat. Pas nécessairement une lutte frontale et revendicative, mais un sport de combat fait de corps-à-corps et d’évitement (« My Imaginary Friend »). La présence du poète Marvin Tate, qui vient compléter le line-up, s’inscrit là aussi dans cette direction. On songe, pour rester en Europe qui est l’unité de lieu, aux albums du Kollectiva avec Lewis Jordan, à la Lisbon Connection avec Elliot Levin ou à Papanosh avec Roy Nathanson. Sur « First Recording : SF Sky » comme sur « Call of Tomorrow », sa scansion très précise qui sait monter dans les aigus à la manière d’un sax alto apporte une forme de tension très efficace qui ne peut que réjouir et faire bouger les pieds, sauf en cas de mort prolongée.

A l’écoute de Mike Reed, on comprend l’engouement qu’il suscite auprès de ses pairs. Compagnon de Roscoe Mitchell, Rob Mazurek ou Tomeka Reid, il dépasse depuis quelque temps les faubourgs de Chicago pour travailler en Europe. On l’a bien sûr croisé dans le projet The Bridge avec Ève Risser et Sylvaine Hélary. Il sera l’invité de Penn Ar Jazz le 30 janvier, et l’Orchestre National de Jazz va travailler avec lui pour son Chicago à venir. Flesh & Bone est à son image, entier et débonnaire, chaleureux et partageur. Foncièrement humain et plein de vigueur. Ce disque est un délice qui de toute évidence n’en finira pas de tourner sur la platine de quiconque a des oreilles en état de marche.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 janvier 2018
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