Ars Transmutatoria, camaïeu créatif
Le retour des Ars Transmutatoria qui forment une œuvre charnière et très ouverte.
Après Rouge et Bleu, qui ouvraient un cycle pour le batteur et compositeur québécois Michel Lambert, voici le retour des Ars Transmutatoria qui forment une œuvre charnière et très ouverte, prenant la suite du fondateur Journal des Épisodes. Musicien sensible qui abrite aussi, pas loin du cabanon où il gare sa batterie, un plasticien habile, Michel Lambert propose avec Orange et Bronze des couleurs inattendues, complémentaires, plus personnelles. Sortant du carcan des couleurs primaires, il propose de nouveau ses partitions colorées à de nombreux compagnons pour construire une œuvre pleine et entière.
Orange. On pense feu qui couve et crépuscule d’été. Michel Lambert nous invite à une découverte chaleureuse, florale et paradoxalement plus ancrée dans la terre et le réel que ne l’était l’onirique Rouge. La raison en est certainement la puissance tellurique du maïkotron, cet instrument inventé par le saxophoniste Michel Côté qui l’accompagne ici à la vielle à roue. Dans le beau « Pluie de sable », alors qu’Alexandre Grogg habite le morceau en jouant de l’orgue d’église, les basses vibrantes du maïkotron version contrebasse viennent faire bouger les fondations d’une musique peut-être plus intime que les autres, Lambert s’appuyant sur des musiciens très proches en surplus de Barre Phillips, convié sur « Le Tourbillon des éléments retransmutés ».
Paradoxalement, sur cet Ars Transmutatoria Orange, Lambert joue peu de batterie. On entend quelques tambours sur « Vue de la table », notamment le tanggu chinois, mais c’est le maïkotron qui domine une musique où la couleur orangée est paradoxalement celle des bas-fonds, des sous-bois, de tous ces endroits où la lumière peine à passer (« Un jour dans la forêt »). C’est sur « Uru », où l’accompagne le guitariste Raoul Björkenheim, que l’on retrouvera ce jeu de batterie éminemment coloriste, mais l’épisode est de courte durée. L’orange de Lambert a tout des fulgurances : les morceaux sont courts, comme des incises dans le silence. Des étincelles. [1]
Apparu sur Orange, l’organiste Alexandre Grogg est aux manettes d’Ars Transmutatoria Bronze qui offre une autre lecture des partitions colorées de Michel Lambert. Ici, le batteur n’invite pas, ses baguettes ne servent à la limite qu’à diriger : c’est une interprétation de sa musique par un instrument d’église, comme pour confronter sa musique à une vision moins séculière. Le bronze, c’est l’habit des statues, c’est ce qui reste et s’altère peu, c’est un alliage qui ne doit rien à l’immédiateté. Alors que les autres Ars Transmutatoria faisaient appel à des figures animales où à des chimères xénomorphes, Bronze est principalement minéral.
C’est sans doute ce qui se joue dans l’aérienne « Composition avec matière organique » qui est une transformation, une transmutation en cours, mais c’est « La Clé oubliée » qui nous fait comprendre ce que ce bronze signifie pour Lambert : une interrogation plus métaphysique, profonde et hors du temps. C’est « Le Miracle de la transsubstantiation » qui nous le révèle, cette lecture de Grogg est profondément spirituelle. Mais plutôt qu’aller à la recherche d’une hypothétique identité supérieure, Michel Lambert fonde sa mystique dans les couleurs, et plus sûrement dans leur mélange : « la démondrianisation des espaces géométriques » est davantage qu’un programme. C’est une action directe.