Chronique

Michel Lambert

Journal des épisodes

Alexandre Grogg (p), Guillaume Bouchard (b), Michel Lambert (dms)

Label / Distribution : Jazz From Rant

Ce batteur québécois qu’on a pu croiser aux côtés de Paul Bley ou de Barre Phillips [1], est également un remarquable compositeur, notamment pour le Winnipeg Symphonic Orchestra (WSO). C’est avec cet orchestre que Michel Lambert enregistra en 1988 une forme de journal intime, fait de miniatures quotidiennes accompagnées de dessins, puisque Lambert est également peintre. Fusion des formes artistiques, ce Journal des épisodes relatait alors 366 moments, fragrances et impressions qui ne durent parfois que quelques secondes.

C’est dans une version encore plus concise qu’on le retrouve vingt-cinq ans ans plus tard. Lambert y est sobrement accompagné d’un trio où l’on retrouve le contrebassiste Guillaume Bouchard, déjà aperçu en duo avec Michel Donato, et le pianiste Alexandre Grogg, très actif sur la scène québécoise, notamment au sein de l’Auguste Quintet d’Alain Bédard. En 92 morceaux, le batteur a sélectionné autant d’instants de sa partition et les a adaptés à la forme trio. Il en résulte des moments poétiques, comme « L’arbre suspendu » où, sur une ligne de basse languide, Grogg égrène des gouttelettes de piano, ou d’autres plus frénétiques quand le très coloriste Lambert laisse parler sa force de frappe (« La Terre déguisée en marteau de percussion »).

D’abord dérouté par la forme qui çà et là se brise comme une phrase catégorique en pleine discussion cordiale (voir la belle montée collective de « La marmite rouge », qui laisse un sentiment ténu de frustration…), on est assez vite submergé par cette impression d’inachevé, comme on lirait les notes griffonnées d’une construction artistique. A mesure que les morceaux défilent, parfois sortis de nulle part - tel ce retour orchestral du WSO sur « L’Horizon » -, on décèle une continuité. L’écriture de Lambert, qui peut parfois s’assimiler à des boucles, lie les morceaux entre eux. L’aspect très ludique de la démarche préserve l’ensemble de la Library Music. On peut bien sûr regretter que le batteur n’ait pas utilisé les nouvelles technologies pour créer une forme multimédia liant musique et dessins. Mais on se consolera en se laissant porter par une proposition troublante qui nous entraîne dans l’intimité du processus créatif de cet excellent musicien.

par Franpi Barriaux // Publié le 1er avril 2013

[1On notera également un excellent Unclouded Day avec Mat Maneri et Jeannette Lambert chez Ayler Records.