Avishai Cohen
Entretien avec le trompettiste américain.
Photo © Christophe Charpenel
C’est sur la fin de sa dernière tournée européenne que le trompettiste américain Avishai Cohen nous a accordé un bref mais passionnant entretien.
Bienvenue à Marseille, certains disent que c’est une ville jazz…
C’est certain qu’avec deux concerts sold-out, on ressent une certaine attente. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de m’y promener car nous sommes dans une tournée européenne assez longue, avec des déplacements en train donc peu de logistique et des moments de repos obligés… en plus, là, je suis malade, donc… mais Yoni Zelnik connaissait et Justin Brown l’a suivi en ville. A ce qu’ils m’ont dit, je crois qu’il y a du blues dans l’air !
- Ce sens du blues, justement, vous le travaillez à la trompette du point de vue technique ?
Eh bien j’essaye, surtout en concert, d’avoir le son le plus naturel possible. Je n’utilise pas de sourdines parce qu’elles marquent trop l’histoire du jazz : je respecte trop Miles pour utiliser une sourdine Harmon… et j’essaie d’éviter le lip trill (trille sans recours au piston, juste par le contrôle de l’embouchure et de la colonne d’air) car j’ai un trop grand respect pour Louis Armstrong. J’essaye d’être le plus simple possible. Après, c’est vrai, j’utilise des effets, notamment sur disque, parce que je veux vivre avec mon temps et qu’après tout, la distorsion ou la wha wha, je les poussais pas mal dans ma jeunesse punk (il a joué avec le Lemon Juice Quartet, combo de jazz punk d’avant-garde).
- Avishai Cohen © C. Charpenel
Je cherche à me rapprocher de la façon dont chantait Billie Holiday
- Il me semble qu’il y a de plus en plus d’espace dans votre musique…
C’est voulu ! Le fait que je cherche de plus en plus à développer le son de mon trio sans piano me pousse à jouer sur les silences et à donner un aspect vraiment percussif à mes compositions ou aux versions que je propose. Je préfère donner à sentir le swing plutôt qu’à le faire entendre. Alors oui, ça suppose de prendre de l’espace et surtout de prendre son temps. De ce point de vue-là, je cherche à me rapprocher de la façon dont chantait Billie Holiday.
- Justement, elle ne chantait pas de façon conforme !
Oui et c’est dans ce sens que je souhaite me rapprocher de sa manière de chanter. C’est parce qu’elle avait ce décalage qu’elle peut encore nous émouvoir aujourd’hui. Elle nous a appris que le jazz, c’est une histoire de cœur et de sexe. Elle chantait ce qu’elle était. J’aimerais tant jouer ce que je suis ! Mais je ne suis pas sûr d’être aussi aimé qu’elle !
- Et puis vous n’êtes pas seul, évidemment… Quelle est la philosophie fondatrice de votre projet Triveni ?
Certains ont voulu chercher dans mon choix d’un trio sans piano une référence à je ne sais quelle spiritualité du chiffre trois… pour moi qui ai grandi en Israël, ça aurait plutôt été le chiffre sept ! J’ai toujours ce fond de chants juifs en moi, et je ne peux m’en passer. Mais Triveni c’est surtout cet endroit en Inde où trois fleuves s’unissent : un endroit sacré où passe le Gange, et où les cendres du Mahatma Gandhi ont été dispersées. Trois musiciens comme trois fleuves, si tu vois ce que je veux dire… Avec Yoni et Justin, je pense avoir trouvé un bon équilibre, un débit parfait, propice à l’expression de nos trois personnalités pour cette tournée européenne. Et puis Triveni, ça symbolise aussi pour moi le fait de ne pas venir seulement d’un fond musical israélien, mais aussi d’être dans une quête de perfection musicale dans les musiques arabes ou encore africaines.