Scènes

Avishai Cohen Triveni au Cri du Port

Concert du trompettiste au Cri du Port (Marseille), le 12 mars 2015


Photo Christophe Charpenel

« Lorsque le peuple entendit le son de la trompette, il poussa de grands cris et la muraille s’écroula » (Josué 5.13-6.27)

Marseille n’est heureusement pas Jéricho, mais la métaphore biblique s’imposait pour rendre compte du second concert du trio d’Avishai Cohen « le trompettiste » dans la cité phocéenne. Deux concerts sold-out en semaine dans l’ancienne chapelle protestante des quartiers nord, tenue par l’équipe d’une association dont on ne peut que chanter les louanges.

Comment ce miracle s’est-il accompli ? Peut-être parce qu’avec ce projet, le souffleur et ses camarades contrebassiste (Yoni Zelnik) et batteur (Justin Brown) représentent le parfait équilibre entre tradition et innovation.

Car ce trio est bel et bien ancré dans la tradition : intros bluesy, recherche du vibrato façon Armstrong par le leader, effets de call and response entre les trois musiciens qui finissent par sonner comme un big band sur le « Shiny Stockings » de Count Basie. Effets de growl menaçants comme la colère black, utilisation d’une sourdine pour susurrer l’amour sur une ballade. Une sourde violence et de la séduction : c’est bien du vrai jazz ! Comme le suggère Avishai Cohen en aparté après « Crescent » de Coltrane et « Goodbye Pork Pie Hat » de Mingus, le concert de ce soir est un « jazz quiz ».

Avishai Cohen © C. Charpenel

Alors, en quoi ce trio innove-t-il ? Premièrement, la formule a de quoi décontenancer : un trio sans instrument vraiment harmonique. Pourquoi pas ? Souvenons-nous notamment du quartet Baker/Mulligan. Ici, c’est la dimension percussive qui convainc, en adéquation avec l’attirance du trompettiste pour les musiques africaines et leur quête polyrythmique. D’aucuns diront qu’il n’y a rien de nouveau là-dedans, rappelant l’usage pygmée - entre autres - de l’art de la syncope dans lequel Yoni Zelnik excelle. Pour autant, le jeu de batterie de Brown, tout en rondeur et en puissance, appuie la proposition. Les notes tenues du trompettiste s’immiscent sensuellement dans le swing dégagé, la plupart du temps implicite. Plus qu’un show, Avishai Cohen et ses acolytes mettent en scène un work in progress, comme le trompettiste le suggère au public.

En fin de compte, la spiritualité biblique n’est pas de mise : la métaphore hindouiste paraît plus pertinente. Dans le panthéon oriental, Triveni est au confluent du Gange (tiens, là où furent dispersées les cendres de Mingus, beau symbole pour Yoni Zelnik), de la Yamuna (un fleuve au débit terrible, un peu comme Justin Brown) et de la Sarasvati (la rivière mythologique qui charrie la parole des dieux, autant pour M. Cohen). Oui, ce trio m’a mis en lévitation !