Chronique

Baptiste Herbin

Interférences

Baptiste Herbin : sax, Renaud Gensane : tr, Sylvain Romano : b, Benjamin Henocq : d, Maxime Fougères : g + Invités

Label / Distribution : Just Looking/Harmonia Mundi

Interférences, le nom n’est pas nouveau et déjà largement exploité. Cela n’a pas empêché Baptiste Herbin de donner à son nouvel album ce titre riche en significations. Parmi d’autres, on pourrait retenir celle qui évoque ce qui est simultané dans l’univers, lorsque le phénomène d’interférences se manifeste par une interaction entre des ondes sonores accordées à l’unisson. Un choix qui ne semble pas surprenant, tant il s’inscrit pleinement dans la démarche du jeune saxophoniste.
Imprégnée de la tradition bop et porteuse d’une voix personnelle, elle puise ses inspirations à de multiples sources. Baptiste Herbin découvre la musique et la culture malgaches grâce au guitariste et compositeur Dimitri Dourantonis – avec qui il joue dans le groupe Ouranos Quartet. Il fait aussi partie du groupe de salsa Batambo de Pablo Aubia.
Paru en 2012, son premier disque en quartet Brother Stoon est né de sa rencontre avec André Ceccarelli, lors d’une résidence au Duc des Lombards. Originaire de Chartres, il apprend le saxophone alto avec Jean-Louis Mounier puis le jazz avec Julien Lourau, et lors de ses nombreux voyages, se produit avec différentes formations, aux côtés de Michael Cheret, Enrico Rava, Baptiste Trotignon, Rémi Vignolo, Lukmil Perez ou encore Kenny Garrett.

Marqué par son attachement profond à Charlie Parker, l’altiste signe un deuxième disque en quintet d’une vitalité éclatante, associant l’énergie du bop revisité et la douceur poétique des ballades. On retrouve son complice Sylvain Romano à la contrebasse, présent sur « Brother Stoon » et, parmi les invités, Pierre de Bethmann au piano acoustique et André Ceccarelli sur quatre plages. Principalement constitué de compositions originales, Interférences est mâtiné de funk (« Pour L’Ami », « My Friends »), de rythmes caribéens (« Il Mio Vicino ») et malgaches (« Mafana Be »). Baptiste Herbin échange alors son alto pour une valiha, cette cithare en bambou d’origine indonésienne que l’on trouve à Madagascar.
Au gré des 14 plages aux allures de voyages, les nuances chatoyantes oscillent entre langueur et turbulences. Les phrases improvisées respirent dans la ballade « Malala » et les notes de guitare s’égrènent doucement, laissant libre cours à des images de paysages lointains. Le son de l’alto, inspiré des grands maîtres du hard bop, déploie sa courbe majestueuse. On en mesure l’ampleur quand il revisite les standards -Thelonious Monk, Jackie McLean et Jimmy Raney - « Parker 51 », déambulation dans le bop au charme malicieux, est une belle révérence à l’altiste incontournable qu’était Charlie Parker. Paré du même nom que l’album, le thème final s’élève comme un chant, le refrain profile sa ligne claire et les réponses fusent, en accord avec la plénitude qui gagne l’ensemble. Les jeux de superpositions sonores virevoltent dans le chaos maîtrisé, suivent un tempo plus lent, puis très vite replongent dans le labyrinthe des rythmes vertigineux.

Vibrant, lumineux, enjoué, Interférences cultive une ambiguïté propice à l’évasion. Dans la même lignée que son premier album, le compositeur a mis ses influences sur la table, confirmant son penchant pour l’éclectisme et les métissages. Mais, plutôt que de mélanger les genres musicaux, il préfère les convoquer tour à tour. L’énergie communicative, le plaisir du jeu, du partage, et l’audace qui s’expriment dans les compositions structurées caractérisent ce disque aux lignes pures. Les arrangements sont recherchés, que ce soit au niveau harmonique ou purement sonore, grâce à la conjonction heureuse du saxophone et de la trompette, du bugle ou de la guitare. Explorateur curieux et passionné, Baptiste Herbin s’empare des harmonies pour aboutir à des développements inattendus. Irrésistible.