Scènes

Capbreton fait le plein d’air

Retour sur l’édition 2021 du festival de jazz de Capbreton.


Baptiste Herbin © Pierre Vignacq

Mélomanes d’ici et d’ailleurs, vous croyez qu’il n’y a que du surf et des vaches dans les Landes. Détrompez-vous, on y trouve un fringant festival de jazz qui, malgré les masques, le gel hydro-alcoolique et des variants qui n’en finissent pas, s’était mis sur son trente-et-un pour démarrer l’été dans les meilleures conditions possibles.

C’est sous un soleil généreux et estival qu’a ouvert la 31e édition du Capbreton Jazz Festival même si, et c’est le signe d’un festival qui cherche encore son identité, l’édition 2021 était la première à être ainsi intitulée. Jusqu’ici on parlait de « Août of Jazz » ; jadis, de « Fugue en pays jazz », et ce titre faisait suite aux « Rencontres internationales de la contrebasse » quand Christian Nogaro, luthier de son métier, avait fondé ces rencontres et engendré ce flambant trentenaire du sud des Landes.

Un trentenaire qui sort à peine de l’adolescence, pourrait-on dire puisque, outre son appellation, c’est aussi la formule qui n’est pas encore stabilisée. En effet, au gré des éditions successives, les concerts se sont déroulés d’abord dans la salle Nelson Paillou, d’une belle jauge mais avec des conditions techniques complexes, puis salle Bourdaines à Seignosse, puis encore au Ph’art où l’acoustique est de bonne qualité mais la jauge réduite. Surtout, la déception d’une édition 2020, une poignée à peine de spectateurs sur les concerts payants, a amené la mairie et l’équipe de Bernard Labat, responsable du festival landais, à faire le choix du plein air dans les jardins publics et de la gratuité.

Bien leur en a pris : affluence et détente étaient au rendez-vous de tous les concerts, qu’ils soient dans une veine traditionnelle ou dans un registre plus moderne. Une édition qui fut somme toute assez classique, à l’image de l’ouverture de la première soirée par le trio de Guillaume Nouaux.

Aux côtés du batteur de Soustons, on s’est régalé du jeu de l’excellent clarinettiste Jérôme Gatius et du pianiste Alain Barrabès, au stride brillant, qu’on avait pu croiser il y a un bon paquet d’années avec les joyeux drilles du Jazz Chamber Orchestra. On a d’ailleurs retrouvé une de ses pitreries fort à propos lorsqu’au milieu du concert il a gratifié le public d’un aller-retour entre piano solo et scat tout aussi solo.

Baptiste Herbin © Pierre Vignacq

Le temps d’un changement de plateau et Baptiste Herbin, au sax alto, et Émile Saubole au pandeiro s’emparaient des planches. Le percussionniste et batteur, un local de l’étape, revenait d’une escapade d’une dizaine d’années à Rio. Baptiste Herbin est lui aussi un habitué du pays du pernambouc, puisque Vista Chinese, petit nom de son dernier-né, est également celui d’un mirador sur le Corcovado, la baie et la ville. Ce furent donc des allers-retours entre Brésil et Europe qui s’invitèrent sur la scène capbretonnaise avec, outre Herbin et Saubole, le pianiste Julian Leprince-Caetano, le contrebassiste Mathias Allamane et la chanteuse et flûtiste Diana Horta Popoff.

Le lendemain, le soleil peinait à passer les nuages et les festivaliers hésitaient à couvrir leurs épaules d’une petite laine. Mais en fin de matinée, Capbreton s’est soudain agité avec The Bokalé Brass Band qui n’amenait pas moins que la Nouvelle-Orleans dans ses malles. Des souffleurs en veux-tu en voilà, dont un soubassophone caractéristique du genre, et le centre-ville s’est mis à vibrer comme le Vieux Carré français. C’était festif à souhait et il faut croire que ce septet de tonnerre, peut-être aidé par le Denis Guirault New-Orleans Project qui officiait au même moment sur les bords du canal, a su convoquer, dans des termes idoines, la danse du soleil puisque les nuages filèrent vers d’autres cieux.

Le soir, sous un ciel bleu immaculé et un soleil qui avait œuvré toute la journée, le quartet Pirate abordait la première partie. Quatre Bordelais sans bandeau ni jambe de bois, pas agressifs pour un sou, qui se sont approprié un répertoire de John Scofield. Dans ces cas-là, on craint la comparaison et la traque de l’écart. Sauf qu’à vouloir l’original, autant mettre le disque sur la platine. Pirate a bien entendu proposé autant d’écarts que possible et la seule difficulté vint des attaques répétées des moustiques.

Céline Bonacina trio © Pierre Vignacq

Un changement de plateau plus tard et le trio de Céline Bonacina foulait la scène. Elle est une des rares musiciennes en vue au sax baryton mais on aurait fichtrement tort de ne l’associer qu’à l’usage de cet instrument. Accompagnée de Chris Jennings et John Hadfield, deux musiciens monumentaux, elle envoya son dernier projet, « Fly Fly », comme d’autres envoient des missiles. Précision, énergie, intensité furent en effet les maîtres mots de ce concert qui, de « Ivre Sagesse » à « An Angel’s Whisper », laissa tout un chacun carrément esbaudi. Lorsque quatre projecteurs aussi aveuglants que les phares d’un camion énervé sur « An Angel’s Caress », une ballade pourtant, tirèrent violemment le public d’une léthargie toute poétique, on eût pu craindre que… que quoi d’ailleurs ? Que le concert en fût affecté ? Que nenni, la musique n’en fit pas cas et on restait sur des hauteurs stratosphériques.

Big Band de Nazaré © Pierre Vignacq

Depuis quelques années, à l’occasion d’un jumelage avec Nazaré, l’équipe du festival lorgne, et même plus, du côté de ses homologues portugais. Car Nazaré possède un festival et, mieux encore, un Big Band de vingt musiciens sous la direction d’Adelino Mota. Ce sont eux qui se bousculaient sur la scène le dernier soir avec le volume et la classe propres à une formation de cette envergure et revisitaient Duke Ellington, Dizzy Gillespie, Count Basie, Herbie Hancock et tous ces immenses compositeurs qui alimentent habituellement le répertoire classique d’un grand orchestre.

Le soin de clôturer le festival fut confié à Morgan Roussel, d’abord en quartet sur un registre de musique électronique ou au moins électrifiée avec deux claviers et une basse électriques, puis avec un second set en solo et au piano acoustique pour un hommage à Michel Petrucciani.

Fort patiemment, la pluie attendit que retombent les dernières notes pour s’inviter elle aussi sur scène. Elle avait très certainement eu vent de quelque chose qui se déroulait sur les bords du canal du Boudigau et avait attendu son tour de chant. Mais une fois en scène, elle ne se fit pas prier. Elle fit des claquettes et pas qu’un peu.