Chronique

Yusef Lateef

Atlantis Lullaby, the concert from Avignon

Yusef Lateef (ts, fl), Kenny Barron (p), Bob Cunningham (b), Albert Heath (d).

Label / Distribution : Elemental Music

Cloître des Célestins, Avignon, 19 juillet 1972. Le saxophoniste/flûtiste Yusef Lateef, qui devint une légende vivante de son vivant par son intégration des « musiques du monde » dans le jazz (à moins que ce ne soit le contraire), déboule sur scène avec un groupe superlatif. Le public de la Cité des Papes sera convié dans un maelstrom musical, entre pièces spirituelles aux effluves orientaux et ouest-africains, free-jazz, hard bop et même rhythm’n’blues. Le pianiste, sur cette tournée, c’est un jeune Kenny Barron qui confiera plus tard que cette expérience aura été l’une des plus formatrices dans sa prolifique carrière - Lateef le poussera à obtenir un diplôme universitaire à l’automne suivant, ce qu’il fit. Il se love avec délectation dans une pièce labyrinthique comme « Inside Atlantis », sur laquelle son toucher délicat répond aux intentions mythologiques du leader, ici au saxophone. À l’occasion d’un duo - sur le second morceau du concert, il fallait oser ! - avec le leader, qui s’est saisi d’une flûte traversière, il contribue à l’envol des sens par un jeu empli de silences.
Autre duo fondant de spiritualité : « Lowland Lullaby ». Lateef s’y exprime à la flûte indienne - ce qui certainement eut l’heur de plaire au public présumé hippie de l’époque, mais résonne finalement comme une ouverture au monde au-delà des consciences - dans un dialogue avec le contrebassiste Bob Cunningham aux accents « autophysiopsychiques » (puisque tel était le néologisme par lequel le leader désignait son programme artistique). À la batterie, Albert « Tootie » Heath, issu d’une des plus fameuses fratries du jazz d’alors, se fond dans le programme avec un sens du métier sans pareil, en particulier sur les plages les plus bluesy, sans oublier de s’adapter aux incantations les plus débridées. Un témoignage émouvant d’un artiste ô combien singulier, enregistré à l’origine par André Francis pour l’ORTF, que le « Jazz Detective » Zeev Feldman a remasterisé et agrémenté d’un livret passionnant (témoignages de musiciens, de proches et d’experts dont Reggie Workman, Sonny Rollins, Joe Lovano…) pour notre édification et notre délectation.