Chronique

Brad Mehldau Trio

Where Do You Start ?

Brad Mehldau (p), Larry Grenadier (b), Jeff Ballard (dm)

Label / Distribution : Nonesuch / WEA

Quand on a été l’un des premiers en France à se laisser prendre aux bras de Mehldau, on en reste marqué à vie. Métaphoriquement s’entend, pour les bras : le jeu de mot me fut suggéré, puis imposé à l’époque. Il faut réaliser au moins deux choses : Brad apportait dans le jeu pianistique une fraîcheur réelle, pour la simple raison qu’il se situait en dehors de l’influence majeure de Keith Jarrett, mais aussi (et contrairement à ce qui fut écrit ici ou là) de celle de Bill Evans. Et on avait bien besoin de ça ! D’autre part, il faut se rappeler aussi que dans la foulée, à six mois près, un autre pianiste déboulait sur la scène avec cette même fraîcheur, cette même indépendance : Bill Carrothers. Voyez où ils en sont l’un et l’autre, médiatiquement parlant… Mais pour nous, rien de changé : nous continuons à accueillir les disques de l’un et de l’autre avec la même attention et, au fond, le même plaisir.

Where Do You Start ? se situe dans le prolongement des autres enregistrements du trio : une musique qui fait place à des thèmes « pop », qui frôle parfois la variété (« Samba E Amor », puis « Jam »), une réelle et fascinante indépendance des mains qui permet à Brad Mehldau une perpétuelle invention, un art suprême de la ballade (« Baby Plays Around »), et puis cette tristesse de fond, ce point de mélancolie qui court dans la musique du début à la fin et sur tous les tempos. Brad et Bill ont confirmé ce qui s’annonçait chez eux, l’un dans une sorte de romantisme qui prend sa source chez Schumann et Brahms, l’autre dans une fascination pour l’histoire qui le pousse vers des projets sans mélancolie, mais résolument tournés vers le passé. On aimerait seulement que Bill remplisse les salles à la hauteur, lui aussi, de son talent.

Seulement voilà : l’un (Brad) s’adresse à ce qui, en nous, fait le fond de notre existence, et nous dit : « Voyez la vie que vous avez ! ». Il parle ainsi à un public très large, qui se retrouve dans une sorte de superficialité un peu triste, magnifiée par un jeu splendide. L’autre (Bill) parle de culture, d’histoire, il renvoie à une connaissance des faits et gestes de la Guerre de Sécession, ou de la Grande guerre, quand ce n’est pas (avec sa femme Peg) à tout un répertoire de chansons américaines oubliées. Le public atteint est évidemment plus restreint. It’s so…