Scènes

Carte blanche à Bruno Angelini - 1

Pour le concert d’ouverture d’une carte blanche sur la Péniche L’Improviste qui en comptera cinq, le pianiste Bruno Angelini a formé un quartet de musiciens avec lesquels il a eu l’occasion de jouer au sein de formations diverses.


Pour le concert d’ouverture d’une carte blanche sur la Péniche L’Improviste qui en comptera cinq, Bruno Angelini a formé un quartet constitué de musiciens avec lesquels il a déjà eu l’occasion de jouer au sein de formations diverses. C’est cependant à cette occasion qu’ils se sont réunis pour la première fois, fédérés par un projet que le pianiste a voulu très ouvert, à l’image du chemin qu’il projette d’emprunter durant sa résidence.

Une des beautés de l’improvisation réside dans la naissance imprévisible, sinon incontrôlée, de situations musicales inédites portées par la créativité combinée des musiciens qui en sont à l’origine. Partir de rien, c’est pouvoir tout se permettre, y compris les errances. Partir d’un matériel défini encourage l’osmose à travers une interactivité balisée. Cette fois, Bruno Angelini a choisi une ligne médiane en proposant un parcours improvisé ponctué de rencontres, à savoir des thèmes de sa plume ou de celle d’artistes qui ont joué un rôle dans son cheminement artistique, tels Steve Swallow ou Paul Motian. De l’interprétation de ces thèmes découlent des espaces de liberté au sein desquels les musiciens conversent, s’échappent, se promènent, puis se retrouvent, coagulent leur propos jusqu’à l’enclenchement du thème suivant. Pas de pause, donc, si ce n’est celle qui nous permet, entre deux sets généreux, de redescendre quelques instants sur terre – ou presque – pour prendre conscience du caractère éphémère de ces instants précieux. Chaque set prend la forme d’une suite où se succèdent des épisodes plus ou moins figuratifs mettant en exergue la musicalité et les qualités d’expression du groupe.

Bruno Angelini par Christian Taillemite

Majoritairement construite dans l’instant, la musique évolue comme pourrait le faire une conversation à quatre, avec des parties tenues par un orateur, des apartés à deux ou trois, des échanges collectifs régis par le rythme soutenu du flux d’idées comme par l’attention portée à l’autre. Angelini a naturellement pu développer, au fil du temps, une complicité avec chaque acteur du quartet, mais deux axes forts ont su trouver une place capitale sans vampiriser sa musique : d’une part la connivence de Claude Tchamitchian et Régis Huby, essentielle au quartet Ways Out et dont on retrouve ici la force d’évocation et la complémentarité de timbres, et d’autre part l’entente grâce à laquelle Edward Perraud et Tchamitchian se trouvent et facilitent la motricité du quartet, malgré un net refus de toute facilité pulsatile. Les affinités sont nombreuses et la musique sort grandie de cette partie de jeu serré. D’autant que ces quatre-là développent, chacun à sa manière, la dualité qui fait la beauté de l’improvisation : pouvoir exposer un très beau jeu, puis savoir le déconstruire, le diluer, le distordre pour aller vers une approche moins formelle, mais plus sensuelle. Leur « Very First Time Meeting » est donc bercé par d’incessantes allées et venues entre ce qui nous émerveille et ce qui nous touche, l’un et l’autre finissant par coexister sans rien avoir à concéder. Quand cela se produit, les musiciens le savent. Convaincus, par la force des choses, de la qualité de leurs propositions, ils savent prendre toutes les libertés et multiplient les remous à l’origine des pics d’émotion.

Angelini, Tchamitchian, Perraud et Huby par Christian Taillemite

On retrouve, dans la manière dont a été songé ce voyage musical, la passion du pianiste pour les arts qui ont les histoires pour centre et où les ambiances sont des personnages à part entière. Féru de cinéma et de bande dessinée, Angelini tend de plus en plus vers les formes narratives, comme le montrent son magnifique Sweet Raws Suite, etc…, qui constitue pour partie le second volet de cette carte blanche, ou sa réappropriation de musiques d’Ennio Morricone, présentée pour la première fois en juin dernier sur la même Péniche. Pour ce quartet, les indications livrées en amont ressemblent à un story-board. Quelques thèmes, dont certains récurrents comme dans une musique de film (le « Folk Song For Rosie » de Motian), quelques suggestions d’arrangements que les musiciens sont libres de respecter ou non. Un peu de matière à pétrir, en somme, telle cette « Immersion » qui ouvrait Never Alone, relecture par le pianiste du mythique Newest Sound Around de Jeanne Lee et Ran Blake, et qui permet au quartet d’entériner une introspection collective. L’expression pourrait prêter à sourire, si la formation n’affichait pas d’emblée une telle cohésion. La suite sera faite de thèmes et d’envolées fondus/fusionnés, de cordes frottées, pincées ou grattées, de matières plus ou moins rugueuses couvrant des surfaces plus ou moins régulières. Les moyens d’expression se bousculent, mais le propos reste centré. Entre le ballet des archets, les lignes terrestres de Tchamitchian, les tintements et cliquetis ornant les rythmes funambulesques de Perraud, la fée électricité qui donne un coup de baguette sur la fantaisie de Régis Huby, le piano qui ouvre son ventre et met ses cordes à nu quand le pianiste, lui, ouvre son jeu et met sa musique à nu, les phrases réflexives se disposent et se dispersent. Çà et là, quelques intentions bruitistes et une prose effritée tirent vers l’abstraction pensée de la musique contemporaine, mais les tissus orchestraux et les impromptus ne cessent de réinstaller la musique dans la sphère chaleureuse d’un jazz fertile mâtiné de chambrisme. Angelini, véritable metteur en son attaché aux espaces que son approche harmonique peut engendrer, ne prend que peu de solos et se concentre sur la définition de directions, avec le bon goût qui caractérise ses échafaudages harmoniques. Il se délecte en revanche des prises de parole des autres, allant jusqu’à s’arrêter de jouer. Parce que les silences font partie de sa musique. Et sûrement aussi pour profiter, sans calcul, de l’opulente quantité d’idées brillantes livrée par ses compères. Son sourire le trahit. Le nôtre ne s’efface pas.

Heureusement, le programme de sa résidence à bord de la Péniche l’Improviste nous aide à patienter :

  • 5 avril 2014 : Double trio (Bruno Angelini/Sébastien Texier/Ramon Lopez + Bruno Angelini/Stéphane Guillaume/Ramon Lopez)
  • 28 juin 2014 : Double plateau, If Duo + « Freak Machine 4tet » (Bruno Angelini, Giovanni Falzone, Jean-Charles Richard et Thibault Perriard)
  • 4 octobre 2014 : Double duo, d’abord avec Olivier Sens puis avec Michele Rabbia
  • 6 décembre 2014 : Trio Bruno Angelini/Claude Tchamitchian/Christophe Marguet.