Scènes

Christine Sehnaoui/Andy Moor


La saxophoniste et le guitariste électrique étaient, un soir de mars, à Pau, à la Maison de l’étudiant. Alliage d’improvisation et de rock libres…

Christine Sehnaoui et Andy Moor constituent un duo rare. D’abord, parce que l’association saxophone-guitare demeure très peu entendue, même dans les circuits libérés de l’improvisation. Ensuite, parce que la musique produite, issue d’une alchimie renouvelée, s’impose par sa qualité. Enfin, parce que les femmes instrumentistes sont trop souvent absentes d’une scène globalement acquise aux hommes.

Christine Sehnaoui © jesus moreno

D’un côté donc, la saxophoniste d’origine libanaise installée à Paris, autodidacte et figure ascendante de la scène libre. Son travail porte sur les textures, la microtonalité, les sonorités nouvelles. Elle creuse sans cesse les possibilités acoustiques de son instrument, grâce à des techniques de jeu étendues.

De l’autre côté, déjà une légende, le guitariste britannique de The Ex, formation anarcho-rock hollandaise de notoriété planétaire. Au fil des ans, The Ex a ciselé une musique radicale et puissante, nourrie de collaborations avec des artistes essentiels tels que le violoncelliste new yorkais Tom Cora ou le saxophoniste éthiopien Getatchew Mekuria. Parallèlement, Andy Moor multiplie les associations avec des innovateurs comme Colin McLean (électronique) ou l’artiste sonore Yannis Kyriakides.

Au terme d’une tournée transpyrénéenne d’une dizaine de dates, l’oiseau bicéphale s’est donc posé à Pau, un soir de mars, le temps d’un concert à la Maison de l’étudiant.
Le ton est tout de suite donné. Christine Sehnaoui attaque avec un long cylindre de carton fiché dans le pavillon de son saxophone alto. L’instrument en est comme électrifié. Moor cogne sa tête de guitare contre un mur : les chocs se répercutent avec un effet d’écho dans son ampli.

Andy Moor © jesus moreno

Bientôt les deux musiciens volent en formation serrée, élaborent un dialogue de propositions complémentaires, entrecroisent leurs inspirations et leurs voix. La musique rugueuse, nerveuse, flambe en catharsis bruitistes parfaitement contrôlées. Sur les martèlements d’Andy Moor, lambeaux d’électricité décochés avec maestria, Sehnaoui élève des ouvrages abrasifs, riches en textures acoustiques. Les deux artistes varient les techniques, donnent à leur concert une épaisseur et des couleurs tueuses d’ennui. Moor joue en accordage ouvert, frotte le haut-parleur d’un baladeur sur ses micros de guitare, fait grincer ses cordes à l’aide d’une tige de métal. Il déploie un jeu électrique no-jazz et revigorant, qui emprunte à la répétition minimaliste, aux rythmiques irrégulières du free-rock et à la recherche purement sonore.

Sans jamais tomber dans la démonstration inutile, toujours au service de la musique, Sehnaoui déploie avec acuité l’étendue de son savoir-faire : souffle continu, morsure de l’anche, jeu sans bec, introduction d’une bouteille d’eau dans le pavillon. Le saxophone bouillonne, crisse, vibre, siffle, émet des signatures électroniques. Dans une esthétique renouvelée, elle croise avec réussite l’énergie brûlante du free jazz et les innovations acoustiques du réductionnisme.

Même s’il n’a qu’une poignée de dates à son actif, le duo montre une parfaite entente, maîtrise les montées et les descentes d’intensité, négocie bien les virages tout au long de deux longues improvisations. Un langage s’invente alors, empruntant au minimalisme, au rock, à la fire music, à l’improvisation libre. Exaltant.