Entretien

Christophe Monniot (3)

Fin des aventures monniesques.

Pour finir, Christophe Monniot parle des musiciens qui l’ont marqué, de son groupe Monio Mania qui vient de publier un disque très réussi (Princesse Fragile) et répond à ceux qui lui reprochent son côté Lubat et franchouillard.

Sixième Partie : Influences, Matos

- Tu en parles beaucoup d’Ornette Coleman justement

Pour moi c’est le symbole du pacifisme quand tu entends sa musique. Alors qu’elle peut-être riche, foisonnante, pleine de questionnements aussi. Mais alors d’une paix…et quand il m’a parlé c’était pareil, cette même paix.

Malgré toutes nos controverses, malgré tous nos tourments, nos questions, j’avoue que je recherche à traduire cette paix que j’ai ressentie quand je l’ai rencontré et quand je l’écoute.

- Quels sont les gens qui t’ont marqué ?

C’est très vaste. Comme on a parlé du trio : Police par exemple, rares sont les trios qui sonnent comme ça. Hendrix aussi en trio, c’est ahurissant.

- Zappa ?

Oui, j’ai beaucoup écouté Franck Zappa. Mais en piochant parce que curieusement en disque j’ai du mal du début à la fin, à part peut être Sheik Yerbouti. C’est pour moi un de ses disques les plus aboutis.
Un autre où je n’ai rien à dire c’est Studio Tan, où il y a les aventures de Greggery Peccary, ou un live comme Roxy and Elswhere. Ca ne tient pas complètement, mais il y a notamment Bruce Fowler qui joue du trombone comme ce n’est pas autorisé !

- En tant que saxophoniste on t’a catalogué « libertaire », on n’a pas encore parlé de free jazz vraiment, est ce que tu te sens de proche de quelqu’un comme Portal par exemple ?

Ah oui, je suis vraiment fada de Dejarme solo, ce disque a un son incroyable, quelque chose d’intérieur et de tourmenté.
Mais c’est pareil, c’est une forme de réponse. C’est très beau du début à la fin, il y a de la danse, des boucles, c’est sauvage, mais ça respire.
J’aime beaucoup Albert Ayler, son fameux Summertime je l’ai sur disque : il craque tellement je l’ai écouté.

Mais c’est vrai que le free jazz va plus loin que de l’écoute. C’est un phénomène beaucoup plus social, politique, revendicateur. Peut-être que les parallèles que l’on peut faire, c’est quand nous on pioche dans les répertoires qui nous concernent et qu’on les explose, peut-être que là il y a un rapport.

Mais c’est autre chose, ça vient 30/40 ans après. Il y a peut-être un petit parallélisme, mais on ne peut pas dire que je suis un saxophoniste free…mais qu’est ce qu’on peut dire d’ailleurs ?

Dans les influences, il y en a beaucoup d’autres, je suis un fan absolu des quatuors à corde de Schostakovich, c’est d’une beauté. Stravinsky aussi, mais comme tout le monde en parle, je n’ai pas envie d’en parler ! Et puis Eric Dolphy, Charlie Parker, Dizzy Gillespie autant. Pas unilatéralement. Kenny Clark, du tango, du swing, Eddy Louiss…

- Tous les gadgets que tu utilises sur scène, les tuyaux etc…Ca sort d’où ?

Bon je viens de la campagne, j’étais à côté d’une ferme, dans un petit village. Le pays de mon enfance est d’ailleurs devenu une horrible zone d’activité, avec le Leclerc, le Mac Do.

Je suis venu habiter à la ville, et quand tu t’y ballades les sons sont incroyables. Et il peut y avoir une poésie de ces sons là. Quelque chose de métal, le vent qui souffle, des choses qui tombent, des discutions dans d’autres langues. Moi je réagis affectivement et musicalement à ça.

- Tu essayes de recréer une ambiance de rue sur scène ?

Ces objets sonores sur scène qui sont hors du catalogue officiel des instruments de musique sont aussi une traduction de la poésie du timbre et du son que tu peux ressentir hors d’un milieu officiel de musique et que tu traduis dans un lieu officiel de concert.

C’est : « regardez ce tuyau là, quand tu le tournes ça fait des harmoniques, ça fait le bruit du vent sur les arbres de Belleville entre le 8 et le 12 novembre » !

Je ne sais pas si tu entends dans le métro les différentes fréquences qu’il y a parfois ; il y a des moments où on se croirait dans des musiques concrètes, du Pierre Henry. C’est aussi un questionnement.

- Tu utilises aussi de l’électronique…Quoi donc comme matériel ?

J’ai un multi effet de guitare avec deux pédales incorporées, c’est en un bloc. Remi lui a plein de pédales imbriquées les unes dans les autres, c’est un peu plus compliqué son système.

C’est toujours l’art de sa faufiler dans le décalage oreille - j’aime bien cette expression là. Par exemple, rien que de se programmer un octaver et chanter une basse, j’adore ça. Je me mets à la basse d’ailleurs en dilettante.
Ce qui est intéressant c’est toujours le rapport entre l’électronique et l’acoustique, l’équilibre, le déséquilibre : il faut savoir trouver son déséquilibre et l’exprimer.

Septième Partie : Monio Mania, Disques, Franchouille

- Il existe depuis 3 ans, Quelle est la raison de ce groupe ?

C’est l’utopie. On s’est tous rencontrés au CNSM [Conservatoire National Supérieur de Musique] ; sauf Denis, ça fait 10 ans qu’on fait des projets musicaux ensemble donc il y a une complicité rare, je pense. Et les autres, c’est une espèce d’utopie.
Un violoncelliste du Japon classique [Atsushi Sakai] qui fait de la musique contemporaine, de la viole de gambe, qui a joué et habité à Los Angeles, qui joue en solo au Japon. Et qui s’est mis au groove et aux musiques improvisées avec nous !

Un tromboniste bulgare [Gueorgui Kornazov] qui a quitté son pays sans faire l’armée donc il ne peut pas y retourner tant qu’il a pas officiellement la double nationalité et qui est maître dans l’art des musiques de l’Est. Plus tout ce qui est swing car il est très attaché à ce langage.

Emil Spanyi qui est un pianiste incroyable. J’ai d’ailleurs un duo qui s’appelle Ozone SM avec lui. C’est un duo très libre, mais très attaché. C’est un musicien unique dans son genre, hongrois, qui vient de l’Académie Bella Bartok. Pour moi, c’est une grande chance de jouer avec lui.
Et enfin il y a Manu Codjia.

- Dans Monio Mania, j’ai l’impression que pour chaque morceau tu cherches à détourner un style (passo doble, twist, reggae etc…).

Avec toutes ces influences, le but est de travailler sur des cultures qui se croisent et de trouver au milieu le son du groupe qui est à la croisée de tous ces chemins.
Et puis ce sont des possibilités fantastiques d’orchestration, même si je suis encore un enfant là dedans. On va travailler sur des choses un peu classiques aussi, sur du Messiaen, on verra.

On avait un beau projet de résidence à Valenciennes dans une salle qui d’appelle « le Phœnix » avec en parallèle la Hongrie. Emil a rencontré des musiciens traditionnels là bas, a fait quelques concerts, et on a monté une œuvre commune, une œuvre ouverte, et ça n’a pas pu se faire pour des raisons de subventions.
Je pense qu’il faut le dire ça car on avait beaucoup travaillé dessus, c’était quelque chose qui était lancé, pour lequel on s’était motivé et pour lequel la scène nationale était prête à nous accueillir, et qui n’a pas pu se faire au dernier moment pour une disparition de subventions. Je ne sais pas ce qui c’est passé exactement. Mais c’est assez douloureux.
Comme on n’a pas souvent l’occasion de faire ce genre de travail à long terme, tous les jours dans un lieu, c’est quelque chose d’utopique et en profondeur, c’est vraiment dommage qu’on ait pas pu le faire.
Donc on est allé faire nos concerts en Hongrie qui se sont très bien passés. Je ne sais pas comment on va continuer le travail, mais il faut qu’on le fasse un jour.

- Il y a un disque qui vient de sortir

Oui à partir de bandes de concerts, des bouts de studio qu’on a enregistré au mois de janvier.
J’ ai essayé de faire un truc questionnant, pas unilatéral. Avec des petits pièges acoustiques. Essayer de faire comme un film, une forme d’hommage à Godard. On aurait pu sortir un disque avec tant de morceaux, mais ça aurait fait un disque de plus.
Il y a donc quelques partis pris acoustiques et de montage.

- Et avec la Campagnie ?

Ch : Oui là aussi on a plein de concerts. On travaille avec Sylvie Gasteau qui produisait cet été une émission sur France Culture qui s’appelait Don Quichotte, un très beau feuilleton de 15 minutes.
On s’est rencontré, elle nous a enregistrés aux concerts, en repets, il va y avoir la concrétisation de cette rencontré par une voix ou par une autre.

- Vous voulez utiliser un format vidéo (cd rom) vu l’importance du visuel dans vos concerts ?

Oui, notre musique est visuelle, mais ça peut être réducteur ça. Mais on a aussi la volonté et le besoin que notre musique soit très acoustique. Là on a fait 7 concerts en 8 jours, où il y a eu plus de questionnement auditif que visuel.
Même s’il y a du chant, des déséquilibres. On va peut être sortir deux disques, un disque d’un concert entier avec les pains, un autre plus produit. En ce moment on est dans quelque chose de non visuel.

- On a pu vous voir dans des petites salles (Olympic Café, Guinguette Pirate, Sunset…), est ce que tu penses que cette musique pourrait passer dans un grand festival ?

Ca arrive. On a la chance de jouer beaucoup avec la Campagnie, pas assez avec Monio Mania mais c’est plus lourd. On joue dans lieux très différents, on a fait des festivals de jazz. On joue dans ces petits lieux là, sur des scènes rocks, dans des lieux assez différents.
On a joué au Printemps de Bourges par exemple avec la Campagnie. Ca permet de faire un travail sur le groupe, de garder une forme d’humilité.
Le milieu du jazz en France, je ne sais pas si il est si florissant que ça en ce moment. Il y a plein de festivals qui s’arrêtent parce que les mairies ont changé de côté politique.
Il faut donc trouver les solutions pour vivre et exister, pour pouvoir exprimer une pensée de paix, de musique et de chemins à travers ces rencontres affectives.

- Il y a des gens qui te reprochent d’avoir piqué des choses à Lubat et de tomber dans le franchouillard ; ça te fait réagir ?

On ne peut empêcher les gens de penser, de s’exprimer…tant mieux d’ailleurs.
De toute manière je ne cherche pas à être Lubat, je ne suis pas le fils caché de Bernard Lubat loin de là, il ne me tient pas à cœur d’essayer de le devenir. Par contre ayant joué dans la Compagnie Lubat pas mal de fois, ayant fait Uzeste, j’ai appris beaucoup à son contact ça je ne peux pas le nier.
Mais aussi avec André Minvielle, Patrick Auzier, François Corneloup qui y est resté longtemps, et plein d’autres.
Et puis le côté franchouillard là je ne sais pas du tout…c’est dommage. Peut-être suis je franchouillard parce que je travaille sur le quatuor pour la fin des temps de Messiaen, une pièce un peu trop franchouillarde pour certaines oreilles. C’est beau de creuser une œuvre et de voir quoi en faire. On le fait avec Dédé l’Indien, avec Girl from Ipanema.
La première rencontre avec Atsushi Sakai était marrante. J’étais au conservatoire depuis un an, et je me suis dit « tiens je vais écrire une pièce pour quatuor à cordes, et si ça trouve je vais en trouver un pour la jouer ». Et tout de suite je l’ai trouvé, les musiciens sont venus jouer à minuit dans un bistrot.
Ils ont accepté de jouer et ils ont trouvé l’expérience suffisamment sympathique pour qu’Atsushi me dise tout de suite « oui » pour commencer une expérience de groupe ensemble. Et on joue depuis 5 ans ensemble. Monio Mania a 2 ans, mais avec les musiciens ça fait très longtemps qu’on joue ensemble, les liens sont forts.
Donc après ça les gens qui ont des avis assez vite, définitifs, peut être par manque de recul… c’est quand même très délicat de mettre des mots sur une musique et des être humains.

par Charles de Saint-André // Publié le 31 mars 2003
P.-S. :

En sortant du café, Christophe Monniot me fait remarquer que l’on a pas parlé du quintet « Baby Boom » de Daniel Humair et du Sacre du Tympan de Fred Pallem.
C’était volontaire de ma part, puisque que l’on trouve sur le site divers interviews et papiers sur ces deux sujets. Avis aux curieux !