Portrait

Cirus Vircule ou l’ode à la liberté

Cirus Vircule, portrait d’un duo d’improvisateurs libres.


Cirus Vircule © Christian Taillemite

Celles et ceux qui suivent les carrières et les parcours de Laurent Paris et Betty Hovette savent combien l’improvisation libre est fondamentale dans leur rapport à la musique et à la création. Leur duo Cirus Vircule - l’anagramme de « virus circule » pour dire que le projet est né à l’occasion de la pandémie de Covid - en est une illustration.

Ce sont des artisans du son. En tout cas ils se définissent ainsi en disant que comme les menuisiers travaillent le bois, eux travaillent le son. La métaphore va bien au-delà de ses vertus pédagogiques puisqu’en concert on voit leurs mains s’échiner sur des cordes et des peaux avec différents outils. Ils brossent, caressent, cognent, heurtent et percutent au gré des cheminements qu’ils font prendre à leur musique in situ. Partant de là, tout est dit ou presque. En tout cas suffisamment pour comprendre ce qu’on vient chercher dans la musique de ce duo. On leur parle de dissonance et de consonance, mais là encore, ils nous disent que ces catégories ne sont pas pertinentes pour leur musique. Rien n’est dissonant, rien n’est consonant ici. On est au-delà. On est dans la matière sonore et le parallèle avec l’artisan ou l’ouvrier a ici toute sa place. Les sons s’agencent aux moments où ils sont créés par ces quatre mains actives.

Car fondamentalement, la musique de Cirus Vircule a à voir avec la création la plus libre possible. Betty Hovette, issue de la musique classique et passée par la contemporaine, travaillait sur ce projet initialement avec un piano droit jusqu’à faire le choix d’évacuer le clavier pour travailler sur le cadre exclusivement. L’idée, nous dit-elle, est de s’émanciper de l’histoire de l’instrument et d’en exploiter le plus de possibilités. Elle est donc passée d’un jeu au clavier à un travail direct sur le cadre du piano. Elle a démonté l’instrument pour travailler directement sur les cordes ou le bois en utilisant toutes sortes d’accessoires. On trouve alors pêle-mêle des baguettes de différents types, des ustensiles de cuisine, des végétaux, de la quincaillerie. La démarche de Laurent Paris est semblable. Ses percussions sont faites elles aussi d’une multitude d’outils qui viennent multiplier les possibles sonores. Alors quand on les voit déballer cette artillerie sans fin, on pourrait avoir l’impression d’une caverne d’Ali Baba. Les concerts sont d’ailleurs très visuels.

Cirus Vircule © Christian Taillemite

Mais ce qu’il faut avoir également en tête, c’est que l’ADN de ce duo est fait exclusivement d’improvisation libre. Dans leurs bouches, ça revient comme un mantra. On sait l’opposition entre les improvisations libres et idiomatiques. Eux s’inscrivent clairement dans cette dichotomie et penchent à 200 % du côté de l’improvisation générative : tout est libre de cadre rythmique ou harmonique. Pas de grille, pas de thème, pas de phrase. Pas de filet de sécurité non plus sinon leur grande expérience de ce type de démarche. Et ce n’est rien de le dire. D’une même voix, ils disent que savoir improviser est l’objet d’un long apprentissage. Pour le dire autrement, on ne naît pas improvisateur, on le devient.

Un concert de Cirus Vircule est une ode à la liberté. Les voir cheminer sur leurs instruments, c’est aussi voir les choix qu’ils opèrent en articulant leurs sons, leur volonté d’aller dans une direction ou une autre, de façonner une ambiance, un discours aussi. La grande histoire de l’improvisation libre a notamment cette vertu de montrer en toute transparence la création qui prend forme et celui qui s’y adonne comme un démiurge de l’instant. Cette grande liberté ne peut supporter les références et lorsqu’on demande à Betty Hovette et Laurent Paris s’ils ont été marqués par d’autres créateurs du genre, ils opinent mais ne citent pas : bien entendu qu’ils viennent de quelque part, mais ils restent maîtres du destin de leur musique. L’improvisation est pour eux un mouvement, jamais quelque chose de fini ou de reproduit.