Scènes

Ramon Lopez, Carte blanche au Petit Faucheux

À la veille de son départ, Bernard Aimé, programmateur du Petit Faucheux à Tours, proposait six concerts à Ramon Lopez en janvier 2008


A la veille de son départ en retraite, Bernard Aimé, programmateur du Petit Faucheux à Tours, proposait une Carte blanche de six concerts au batteur Ramon Lopez les 25, 27 et 27 janvier 2008.

Pour cet événement, Ramon Lopez a réuni des musiciens qui lui sont chers en formations réduites, rares ou insolites, voire intrépides.

• C’est dans le calme que débute la Carte blanche, ce samedi 25 janvier. Le public est prêt à tout. C’est peut être même son souhait le plus cher. Daunik Lazro au baryton et Claude Tchamitchian à la contrebasse donnent le ton dès la première mesure. Averse de notes et descentes d’harmonies sont au rendez-vous. Expressif et serein, Lazro travaille un son rauque alors que Tchamitchian tapisse le fond sonore de riffs cataclysmiques et terriens. Lopez, très à l’écoute comme à son habitude, est prêt à bondir et rebondir. Mais ses comparses lui font la surprise d’une musique retenue et sourde dont le contrebassiste se fait le pilier fédérateur. Bercé par un parcours improvisé dans des idiomes aylériens (Lazro, soutenu par le mât Tchamitchian), Lopez reste le plus prolixe, et la masse percussive du groupe semble être la clef de cette musique de l’instant. Elle se fait douce et rapide, tout en grognements rythmiques, autour de figures groovy aux baguettes, balais ou mailloches. Cette musique tantôt chaleureuse tantôt bruitiste confine l’auditeur dans un sentiment paradoxal : on se retrouve bercé entre crainte et étonnement.

• Face à face sur scène, légèrement en biais pour que tous puissent communiquer, les deux pianos semblent opposer Christine Wodrascka et Sophia Domancich. Bruitiste et percussive, Wodrascka est plus proche de la tradition européenne du piano et de la musique contemporaine que du jazz. Quand elle s’engage ici, c’est avec une ferveur et directe. De plus, en duo avec Ramon Lopez, elle a déjà fait ses preuves (Aux portes du matin, plus un CD à venir). Domancich a du mal à s’insérer dans cet improbable trio. Improvisatrice de jazz, elle swingue et son univers naturel semble assez éloigné des deux autres. Dans un premier temps, elle décore de nappes mélodieuse le propos de ses comparses, puis aligne des idiomatismes jazz, soutenue par un Lopez généreux. Petit à petit elle réussit à éclairer pour eux des chemins de traverse tout aussi riches que ceux qu’ils ont l’habitude d’emprunter. Ouvrant les dernières pièces sur le mode jazz, le batteur lui permet de se joindre à l’immense masse percussive que forme le trio.Il en ressort une musique évoquant un énorme paquebot luttant contre un courant contraire pour gagner enfin des eux plus calmes. Très ému en fin de concert, Lopez remercie par avance tous les musiciens venus jouer pour cette carte blanche de haute création musicale.

• Le samedi soir, l’atmosphère est très chaude pour le duo de Lopez avec le joueur marocain de gembri Majid Bekkas. Avec la complicité du peintre Loizau qui illustre la musique au fur et à mesure, nous sommes propulsés dans le désert marocain au rythme des riffs arabes ponctués par Bekkas alors que Lopez vocalise des rythmes que la musique ne reflète pas. Il est à fleur de peau : à peine leader, il laisse le champ libre à Bekkas. Que ce soit au gembri ou à la sanza, ce dernier projette des rythmiques denses, autant de respirations favorables à l’improvisation ; Lopez les met à profit pour développer des trésors de finesse rythmique.

• La rencontre Barry Guy / Agusti Fernandez / Ramon Lopez s’est concrétisée par le magnifique Aurora. Pourtant, le trio ne s’était encore jamais encore produit en France. Il interprète ici le répertoire du disque.

On pénètre tout d’abord dans un monde de silence et de tranquillité. La musique est si douce et lancinante à la fois qu’on imagine des mouvements sur scène. Sa poésie bruitiste fait planer, sa retenue fait frissonner. Le trio va chercher l’émotion primaire chez l’auditeur puis touche à la beauté. On a la sensation d’une puissance harmonieuse qui jaillit uniformément dans un même sens. Timide et interrogatif, Barry Guy module le son de sa contrebasse alors qu’Agusti Fernandez créé sur le vif une poésie visiblement naturelle chez lui quand - et c’est rare - il s’éloigne du free. Lopez, lui, est dans la dramaturgie ; il joue sur le son, accompagne les contrastes et mise sur eux en les colorant. Puis ce volcan qui couve se réveille via de démoniaques éruptions signées Fernandez et Guy, parfaitement en phase. Les moments d’espoir se succèdent, semés de pointes d’inquiétudes, et on a la sensation d’une réconfortante harmonie fusionnelle.

• Le moment le plus insolite de cette Carte blanche reste la confrontation de styles et d’idées entre les deux contrebassistes Paul Rogers et Claude Tchamitchian… avec Ramon Lopez en arbitre. Tchamitchian double à l’archet les notes de Rogers, qui joue pieds nus. Étrangement, les deux hommes s’accordent divinement dans leur répons. Ils se concentrent entièrement sur l’exercice et finissent pas ne plus pouvoir se passer l’un de l’autre en se partageant la fonction de structuration, où Tchamitchian excelle. En travaillant l’improvisation axée sur les riffs et les digressions mélodiques - graves ou aiguës, joyeuses ou tristes -, ce trio-ci crée une musique pleine de grâce, de nuances, de soupirs.Réjouissant.

• Le dernier concert de la série signe son éclectisme : Médéric Collignon se déchaîne dès son entrée sur scène. Même chose pour Beñat Achiary alors que Bernard Lubat reste en retrait - mais toujours avec son fameux sourire aux lèvres. Difficile d’imaginer que ce groupe improvise tant il se structure naturellement et rapidement. La paire Lubat/Lopez déploie un tapis rythmique sommaire et fédérateur où s’expriment librement les deux autres. Autant Achiary semble s’être libéré des contraintes de groupe, autant Collignon est proche de Lubat (au piano). Lui qui sait être si raffiné chante, crie, gesticule et se sert de sa bouche pour faire caisse de résonance à un triangle qu’il frappe en osmose sonore et rythmique avec Lubat. Toujours imaginatif sur scène, il créé de la musique avec toutes sortes d’éléments hétéroclites rapportés, parfois même en décalage. Achiary s’égosille et se convulse au gré de ses spasmes vocaux.

Ça ressemble fort à un groupe de rock aux élans free qui installerait son univers sans crier gare. La musique secoue l’auditeur, entre humour, ironie et tendresse. Les trois musiciens s’investissent à fond et remportent un succès triomphal : le public est ravi d’avoir été entraîné de force dans ce déluge. Après quelques incontournables interventions rigolardes, Lubat remporte le premier prix de déconnade ; le concert tourne en eau de boudin dans l’hilarité générale.

Au fil de cette vraie véritable carte blanche, Ramon Lopez a pu exprimer tous ses désirs artistiques.Rares, insolites, ces concerts lui ont permis de réunir les musiciens avec qui il avait envie de défricher de nouvelles voies en dehors de leurs projets communs. On retiendra par-dessus tout la beauté créatrice à l’état brut de ces six concerts, et on constate que Lopez est vraiment très apprécié de ses pairs, qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes, voire plus, pour honorer son invitation au Petit Faucheux.