Chronique

Roy, Courtois, Tchamitchian

Amarco

Claude Tchamitchian (b), Guillaume Roy (vla), Vincent Courtois (cello)

Label / Distribution : Emouvance

L’étonnant trio formé par la contrebasse de Claude Tchamitchian, le violoncelle de Vincent Courtois et le violon alto de Guillaume Roy [1] évolue dans une formule totalement acoustique. C’est sans autre artifice que le grain des cordes et le crin de l’archet qui frotte, gratte ou même pince, que cet Amarco trouve le point où la justesse de l’union libre entre les trois solistes va du claquement boisé et charnel jusqu’au plus profond de l’abysse. L’ambiance chambriste est résolument tournée vers les basses, par son essence même. Ce parti-pris fonde une myriade d’images contrastées à l’architecture d’autant plus mystérieuse qu’elles se bâtissent dans l’immédiateté.

Avant même d’écouter Amarco, nouvelle parution du label marseillais Émouvance, on est surpris par cette sensation d’inédit, nourrie autant de l’inouï de la formation que de son étymologie. Amarco, est-ce ce souvenir fellinien tronqué d’Amarcord, ou le regard intense de racines celtiques qui sous-entendent une vision « au-delà » ? À moins bien sûr que cet « arco » ne renvoie, plus prosaïquement, à l’emploi de l’archet outre le pizzicato… Quoi qu’il en soit, la linguistique s’efface devant la musique. Celle-ci, par sa rage et son instantanéité, se passe de mots, fussent-ils aussi consistants que ceux du poète Jean Bouvier qui tiennent lieu de notes de pochette. Quant au rapport au temps, il se trouve immergé dans « Question d’avenir ». Ce morceau plein de densité et d’ardeur où les archets s’enflamment, portés par le jeu leste et belliqueux de Tchamitchian est le pivot de l’album. Le contrebassiste sonne toujours formidablement juste, dans les embrasements ou dans la quiétude de l’harmonie, comme dans « Champ contre Champ », qui se bâtit sur un pizzicato nerveux et inextinguible autour duquel ses complices s’emmitouflent.

Dès les premières notes, au cœur des torsades nerveuses de Guillaume Roy, on redécouvre le son pénétrant de l’alto. Au seins d’une construction très égalitaire, chacun orchestre le chant intérieur de ses comparses avec un rôle bien défini, quoique très étendu. Roy, fondateur du quatuor IXI avec Régis Huby [2], tient ainsi une place primordiale dans l’ordonnancement des textures. Celles-ci sont profondes et foisonnantes, et l’enregistrement de l’incontournable Gérard de Haro, très proche des cordes, ajoute à cette touffeur voluptueuse qui s’engonce au sein de la gravité des chants.

Dans cette construction entrelacée, le violoncelle de Courtois semble porter une mélodie errante. Il égrène un chant léger, entre blues décharné et chant mélancolique (« Les palais oubliés » qui ouvre l’album par une juste réminiscence de L’Imprévu) ; toutefois, à l’exception de « Time to Change », composé par le violoncelliste, l’ensemble relève de l’œuvre collective et fugace. Retrouver Amarco sur disque, c’est la certitude de capturer l’instantané d’une musique qui n’existera plus jamais sous cette forme-là mais se développera dans d’autres contextes et d’autres couleurs, et toujours avec la même rigueur. Ce qui la rend encore plus belle.