Chronique

Craig Taborn

Shadow plays

Craig Taborn (p)

Label / Distribution : ECM

Enregistré en 2020 en public à la Konzerthaus de Vienne, Shadow Plays n’est cependant que le deuxième disque en solo que compte la discographie pourtant importante de Craig Taborn. Dix ans après Avenging Angel, en 2011, déjà chez ECM, le pianiste semble avoir mis au point une méthode unique et fascinante d’aborder la pratique soliste dans un cadre entièrement improvisé.

La performance qu’il propose tient effectivement en haleine, autant par la puissance créatrice qu’il est capable de tenir tout du long que par l’engagement physique qu’elle induit. S’appuyant principalement sur un processus itératif qui le voit répéter ad libitum et sur un temps parfois étendu (le titre d’ouverture dure 18 minutes) un motif qu’il met en variation, Craig Taborn semble d’abord créer une matière dense et hypnotique qu’il ne cesse ensuite de creuser encore jusqu’à ce qu’elle acquière sa propre logique, semblant gagner en autonomie.

Ce mur de notes virtuoses d’une beauté minérale tient surtout par l’obstination du pianiste à chercher, au plus profond du son, l’état propice à libérer un imaginaire qui pourra finalement respirer. Les associations uniques de timbres, entre des graves velouteux et robustes et des aigus scintillants, cliquetants comme les reflets de lumière sur une eau en mouvement, sont autant de petites équations algébriques spontanées que Taborn assemble ou déconstruit au gré d’un parcours musical parfois contrasté.

Cette abstraction n’est pourtant en rien aride. L’envoûtement qu’elle génère chez l’auditeur libère des espaces nouveaux dans la réception de cette musique et produit des effets inouïs de dynamique et de clarté aux énergies nouvelles. La ballade charmante qui clôt ce concert se rattache à un jazz plus traditionnel et apporte une pointe de décontraction dans un répertoire de très haut vol.