Scènes

Création interculturelle au Festival d’Aix

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée. Session de création interculturelle (direction Fabrizio Cassol) à Aix-en-Provence, du 5 au 19 juillet 2019


Session de création interculturelle. Fondation Camargo (Cassis, le 17/07/2019) ©Jean-François Picautr

Ils sont douze, sept femmes et cinq hommes de 19 à 29 ans, sélectionnés après 122 auditions dans les pays qui bordent la Méditerranée. Les heureux élus, tous en début de carrière, ont été sélectionnés pour leur pratique improvisée soutenue voire une expérience de la composition. Ils représentent une grande variété d’esthétiques et de pratiques musicales méditerranéennes. L’élément discriminant est la part importante accordée à l’improvisation : jazz, musiques traditionnelles, musiques anciennes, etc.

Dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence, le concert de création de la session interculturelle 2019 a eu lieu dans l’enceinte de la Fondation Camargo à Cassis (13), le 17 juillet dernier.

Sur la scène du splendide petit odéon à l’antique face à la mer, sept nationalités sont représentées. Pablo Patiño Moledo (contrebasse) vient d’Espagne. La France est représentée par Adèle Viret (violoncelle), la benjamine du groupe, et Colin Heller (violon, nyckelharpa et mandoloncelle). Athina Siskaki (violon et lyre grecque) est grecque. L’Italie nous envoie Fabiana Manfredi (chant), Giovanni Chirico (saxophone baryton) et Ottavia Rinaldi (harpe). Le batteur et percussionniste Diogo Alexandre est portugais tandis que Hamdi Hammoussi (percussions), Waffa Abbes (chant) et Nada Mahmoud (oud) sont tunisiens. La Turque Elif Canfeza Gündüz, joueuse de kemençe, complète le groupe.

Dans les pays d’origine, le statut des hommes et des femmes n’est pas identique. La culture n’est pas la même.

Ces jeunes gens, sous la direction attentive mais souple du saxophoniste et compositeur belge Fabrizio Cassol, grand architecte de ces sessions de création, ont eu un défi énorme à relever. Il leur a fallu créer, en moins de quinze jours, le répertoire d’un concert de près d’une heure et demie avec seulement des compositions collectives originales interprétées de mémoire. Le tour de force est d’autant plus remarquable que les obstacles à vaincre sont importants : je puis en témoigner pour avoir assisté à quelques heures de répétition. Le premier est celui de la langue : leur seul outil de communication commun est l’anglais globish maîtrisé avec plus ou moins d’aisance par les uns et les autres. Mais il faut aussi créer un collectif harmonieux avec douze personnalités différentes. Dans les pays d’origine, le statut des hommes et des femmes n’est pas identique. La culture n’est pas la même. Les traditions et les pratiques musicales et instrumentales divergent et la question des micro-intervalles et des rythmes est cruciale.

Fabrizio Cassol & Adèle Viret © Jean-François Picaut

Le concert à la fondation Camargo a apporté la preuve que le pari était gagné. Il a conquis à la fois les amateurs néophytes et les connaisseurs. Le collectif est cohérent : la concentration, l’écoute mutuelle, la capacité à répondre et à développer font plaisir à voir. Pour autant, les individualités ne sont pas écrasées ou enfermées dans un carcan. Chacun(e) a son espace d’expression. Bien sûr, selon l’instrument qui expose le thème - kemençe, lyre grecque, oud ou contrebasse, violoncelle, saxophone -, la couleur du titre est différente et l’on peut reconnaître de la musique traditionnelle, de la musique ancienne, du jazz mais on n’est pas dans un style contraint ; les diverses interventions vont modifier, enrichir le morceau et en faire autre chose.
Un des charmes de ce concert provient certainement de ce que Fabrizio Cassol appelle la « dramaturgie ». Chaque titre raconte une histoire, succession de tensions et de relâchements, qui chemine vers un aboutissement. L’ensemble obéit à la même préoccupation, d’où la succession de ballades douces et délicates, de morceaux plus âpres et de titres où domine l’énergie.

Ottavia Rinaldi par Jean-François Picaut. Fondation Camargo

Il est toujours délicat d’isoler des personnes dans un tel groupe trié sur le volet. Qu’on me permette néanmoins de distinguer les qualités de chacune d’elles. Pablo Patiño Moledo mérite d’être cité pour la façon dont il assure la colonne vertébrale de cet orchestre où les tentations centrifuges sont nombreuses, et pour la qualité de son jeu mélodique. La jeune Adèle Viret étonne par la délicatesse et la précision de son phrasé. Le couple batterie-percussions Diogo Alexandre-Hamdi Hammoussi a soulevé l’enthousiasme avec un long et virtuose duo qui s’est parfois transformé en joute amicale. A l’aise comme sideman, Giovanni Chirico s’est avéré un soliste à la palette étendue et à l’engagement complet. J’ai beaucoup aimé les cordes traditionnelles (oud, lyre grecque, kemençe, nyckelharpa) et la harpe pour la variété de leur jeu et leur présence. Et il faut rendre hommage aux deux chanteuses. Waffa Abbes, malgré un méchant lumbago, a montré l’étendue et la puissance de sa voix. Fabiana Manfredi s’est offert un beau succès grâce à son ample tessiture, ses capacités mélodiques et dramatiques, sa présence physique.

La pénombre a envahi la scène et les lumières de la baie de Cassis lui offrent un écrin féerique quand Amir ElSaffar (trompette et chant) fait son entrée pour clore en beauté ce concert de rêve avec une composition qu’il a dédiée à la session de création 2019.