
David Leon, le facteur humain
Le jeune saxophoniste alto américain brouille les pistes avec son deuxième album.
Lesley Mok et David Leon @ Alex Joseph
David Leon avait déjà marqué les esprits avec son premier disque à la tête d’un quartet classique, Aire De Agua, paru chez Out Of Your Head Records et imprégné d’un esprit post-bop.
David Leon, 30 ans, est originaire de Miami. Il est séduit rapidement par le saxophone. « J’ai été impressionné la première fois que j’ai entendu un saxophone quand j’ai écouté un de mes héros, Joe Donato », explique Leon. Donato est un pilier de la scène locale depuis les années 70. Pourtant, le piano est son premier instrument – il continue de l’utiliser, notamment pour composer.
Leon termine ses études à l’Université de Miami en 2016. Pendant un an, il fait des économies pour financer son déménagement à New York. En effet, la métropole de Floride ne lui offre pas assez de possibilités de se développer musicalement. « En outre, j’ai toujours été attiré par l’intensité de la vie culturelle de New York », déclare-t-il. Cette décision lui réussit tout particulièrement. Dès son arrivée, il bénéficie de la bienveillance de la pianiste Kris Davis qui le prend sous son aile. « Elle m’a surtout enseigné l’importance des rapports humains, déclare le saxophoniste. Plus la relation avec les autres musiciens est profonde, plus la musique a de profondeur. » Un bon exemple de cet état d’esprit est donné par les séances culinaires qui entrecoupent parfois les répétitions.
- David Leon @ Alex Joseph
Issu d’un milieu latino-américain, David Leon nourrit la volonté d’explorer son patrimoine culturel. « La pandémie m’a donné l’occasion d’y réfléchir, avoue-t-il. Tout à coup, je n’avais que cela à faire. » En outre, le fait que le percussionniste cubain Manley « Piri » López, spécialiste de la rumba, se mette à donner des cours en ligne lui facilite la tâche – cet apprentissage durera deux ou trois ans. C’est dans cet esprit que Leon conçoit son nouvel album, Bird’s Eye, que publie Pyroclastic Records, le label de Kris Davis, et qu’il enregistre avec DoYeon Kim au gayageum, l’équivalent coréen du koto japonais, et Lesley Mok à la batterie et autres percussions.
je considère l’humour comme la forme artistique la plus élevée
Toutefois, contrairement à ce que pourrait laisser entendre l’instrumentation, il ne faut pas se méprendre et s’attendre à un disque de jazz afro-cubain. Rapidement, des mondes éloignés se percutent. La connaissance que Kim possède de la musique traditionnelle coréenne et de la microtonalité fournit progressivement des ingrédients supplémentaires que Leon incorpore dans le projet. « Mes compositions suggèrent le folklore cubain, mais nous ne pouvons pas jouer comme des Cubains, explique-t-il. Il nous fallait trouver un autre moyen de procéder et grâce aux contributions de DoYeon et Lesley, nous sommes arrivés à un résultat inattendu. » L’originalité de l’instrumentation garantit un univers singulier et une musique indescriptible qui est néanmoins capable de faire un clin d’œil à la tradition jazzistique – le standard « You Don’t Know What Love Is » fait par exemple une apparition au cœur de la composition « Palmetto ».
- Lesley Mok, David Leon et DoYeon Kim @ Alex Joseph
De surcroît, l’écoute de Bird’s Eye révèle l’importance qu’accorde Leon à l’humour. « J’y réfléchis beaucoup car la musique que je préfère est pleine d’humour et me rend Joyeux, dit David Leon. Et je considère l’humour comme la forme artistique la plus élevée. » Enfin, alors que le saxophoniste joue exclusivement de l’alto sur Aire de Agua, il diversifie son arsenal sur cet album. « J’ai lancé le groupe avec le soprano qui convient mieux au son dur, sobre et sec du gayageum car le son de l’alto est plus velouté et ample, explique-t-il. Mais l’important est de posséder son propre son quel que soit l’instrument. »
Leon travaille à d’autres projets qui n’ont pas la même visibilité que ceux illustrés par ses deux premiers « vrais » albums. Locomotive est un double trio qu’il co-dirige avec le trompettiste Adam O’Farrill et qui comprend les guitaristes Eli Greenhoe et Tal Yahalom ainsi que les percussionnistes Murph Aucamp et Daniel Prim. L’objectif est de mettre en scène des musiciens au jeu et au parcours très différents. Il espère pouvoir entrer en studio lorsque les moyens financiers auront été réunis. Il faut également mentionner Current Obsession, une série d’enregistrements qui vise à combler le vide existant entre les sorties officielles de disques. « Je tenais à témoigner de mon travail avec d’autres musiciens, dit-il. D’ailleurs, nous ne jouons pas de compositions, nous ne faisons qu’improviser. »