Chronique

Didier Lasserre, Jean Rougier, Thomas Dubois

Entendus avec l’âme

Didier Lasserre (dm) ; Jean Rougier (b), Thomas Dubois (tp)

Label / Distribution : Le Petit Label

Pour qui aime le travail sur le son, la musique qui s’ébat en toute liberté, ce disque signé Didier Lasserre, Jean Rougier et Thomas Dubois est indispensable.

Le trio nous convie à une aventure où la confrontation des trois instruments nourrit un imaginaire fructueux. La musique prend son temps, se développe, se cambre, se détend, prolonge le plaisir, cherche, débouche sur une poésie de l’instant, à la fois sauvage et exigeante. Ce n’est pas pour rien qu’Entendus avec l’âme emprunte les titres de ses morceaux à l’œuvre d’Octavio Paz, Pasado en claro.

On connaît l’amour de Lasserre pour le travail sur les subtiles variations du son, la recherche permanente de la justesse du propos, loin des voies toutes tracées. Il a trouvé ici deux compagnons idéaux pour ce cheminement sans complaisance. Trois styles différents mais qui se complètent. D’un côté la trompette au lyrisme embué de Thomas Dubois, de l’autre la contrebasse protéiforme de Jean Rougier : associées à la batterie de Lasserre, elles forment un équipage qui nous invite à le suivre dans sa quête des possibles.

Chacune de ces trois pièces offre une vision différente d’un même paysage de silence et d’espace que vient emplir l’inspiration virevoltante des musiciens. La longue introduction à la contrebasse de « Cuerpo sin cuerpo » (Corps sans corps) nous installe dans l’ambiance. S’ensuit un échange entre les trois instruments qui tissent une improvisation riche, traversée d’images rêveuses. Puis c’est « Tiempo sin horas » (Temps sans heures), un magnifique duo trompette-contrebasse qui fait la part belle à une mélodie traînante, troublante et lumineuse à la fois, tels ces paysages d’été où les miroitements de l’air dus à la chaleur voilent notre perception du monde. En près d’un quart d’heure, « Raíces de tinta » (Racines d’encre) clôt le voyage : il perpétue l’aventure pendant laquelle l’auditeur s’est peu à peu enfoncé dans ce monde troublé où il doit fermer les yeux pour mieux se laisser porter par des sonorités inouïes. La contrebasse navigue entre pizzicato et jeu à l’archet, la batterie ponctue, souligne ou pousse à la découverte, pendant que la trompette furète sur le chemin qui se dessine au fur et à mesure. Comme l’écrivait Antonio Machado : « caminante, no hay camino, se hace camino al andar »…

voyageur,
il n’y a pas de chemin,
le chemin se fait en marchant.