Chronique

Diederik Wissels

Song of You

Diederik Wissels (p), Olivier Louvel (g, saz, balalaïka), Christophe Wallemme (b), Michel Seba (perc, d), Tore Brunborg (ts, ss), Olivier Ker Ourio (hca), Fay Claassen (voc), Kathy Adam (cello)

Label / Distribution : Igloo

Le pianiste belge Diederik Wissels se sépare périodiquement de son compagnon musical David Linx pour monter des projets en solo. Le dernier en date est Song of You, qui utilise une formation à géométrie variable pour développer des couleurs douces, des ambiances évocatrices et des textures instrumentales savamment dosées, plutôt que la brillance instrumentale individuelle.

Cette attention aux arrangements, que laisse deviner le choix de l’instrumentation, est audible dès « Daybreak », à la fois ouverture et invocation, et plus tard dans le vague à l’âme de « Somewhere, Someone… » et son contre-chant de violoncelle. Ce violoncelle, justement, joue un rôle-clé dans les assemblages de sons concoctés par Wissels : violoncelle et harmonica, violoncelle et saxophone, saxophone et harmonica (pour un son, bizarrement, proche de l’accordéon), piano et guitare (ou est-ce une balalaïka, luth d’Europe de l’est, ou encore un saz, ancêtre turc du bouzouki grec ?) forment des combinaisons où l’oreille s’amuse à se perdre et se retrouver. Dans ces constructions, même le ping de la cymbale ride de Michel Seba semble, de temps en temps, devenir un élément mélodique de plus.

Sur les trois morceaux à consonances orientales qui se suivent, c’est le riff de danse d’« El Manfaz » qui marque le plus : il ne manque que des ululements pour compléter le tableau. A leur place, la voix de Fay Claassen se positionne sur quelques morceaux comme un instrument de plus, avec un succès tout particulier dans « Singing Like A Morningbird ».

Parmi tous ces morceaux recherchés, le sommet émotionnel de l’album est pourtant le plus dépouillé. Le morceau titre est interprété en duo par Wissels et un Erik Truffaz mué en Miles dans ce qu’il peut avoir de plus romantique et envoûtant : proche du micro, le souffle parfois à peine timbré, à la fois retenu et expressif. Les deux jugent parfaitement de la nécessité de chaque note pour quatre minutes et huit secondes de bonheur. Vers la fin de l’album, cette atmosphère est revisitée par le court « After Slumber », où Truffaz pose grâce à son sampler une nappe qui sert d’écrin à des bribes de mélodie. On pense parfois aux « Seagulls of Kristiansund » de Mal Waldron.

L’expression se fait ici dans le collectif, même si quelques solos d’harmonica, saxophone, piano ou guitare arrivent à se faufiler çà et là. Inévitable revers de la médaille, ces solos (à part peut-être celui d’Olivier Louvel sur « The Forest of Forgotten Words ») passent un peu inaperçus. Etrangement, ce sont ceux du leader qui sont les plus incongrus : alors que son jeu d’accompagnement est d’une justesse irréprochable, ses interventions de soliste relèvent du remplissage véloce et vide de sens, dans un contexte qui ne demande que le chant.

Au départ, et au sortir d’un concert décevant, j’écoutais cet album avec méfiance ; mais peu à peu, malgré une seconde moitié en demi-teinte et une certaine suffisance, Song of You s’est révélé être un travail de bonne facture.