Dimitri Naïditch
SOLISZT
Dimitri Naïditch (P), Gilles Naturel (cb), Arthur Alard (dm)
Label / Distribution : Auto Productions
Une fuite en avant, sans destination préconçue. Dimitri Naïditch, habitué des scènes musicales et des théâtres, ces lieux de partage séculaires, erre dans une nature vierge sur le livret du disque afin de suggérer ce qu’est le déracinement et la fuite en avant d’une population sans repères, agressée, en perdition. La guerre en Ukraine sévit depuis plus d’une année sans qu’une issue se dessine favorablement pour ce peuple meurtri. [1]
Les Ukrainiens ont soif de culture. Lorsque des accalmies se dessinent un tant soit peu, ce sont des envies légitimes de se rendre à des spectacles vivants qui s’installent. Cet espoir est irrigué par l’investissement artistique de Dimitri Naïditch.
SOLISZT est la boussole, celle qui permet de construire une trame musicale tout ce qu’il y a de plus actuelle. Secondé par Gilles Naturel à la contrebasse et Arthur Alard à la batterie, Dimitri Naïditch laisse libre cours à ses investigations musicales, rendant un hommage solennel à Franz Liszt, le compositeur hongrois qui révolutionna la technique pianistique. Le père du romantisme était un visionnaire avide de renouveau qui s’était fait le promoteur de « l’œuvre d’art de l’avenir ». De Chopin à Wagner et de Smetana à Grieg, tous lui seront redevables pour son soutien sans faille. La progression des courants musicaux devra, elle aussi, beaucoup à Franz Liszt, le dodécaphonisme sériel en étant l’un des exemples probants.
En initiant cet album par la « Vallée d’Obermann » tiré des « Années de pèlerinage, Première année, Suisse S. 160 n° 6 », Dimitri Naïditch nous impose d’emblée sa science pianistique avec cette œuvre respectée au pied de la lettre, meilleur moyen de rendre hommage à Franz Liszt et d’ouvrir les chapitres suivants intégrant des improvisations déterminantes. « Ma Campanella », inspirée de la pièce pour piano de Niccolò Paganini retranscrite par Franz Liszt, devient une création enjouée où l’on retrouve des parfums rythmiques de Chick Corea. L’un des grands moments de fougue est l’ « Improvisation sur En rêve, Nocturnes S. 207 », éminent laboratoire de recherche dans un ton médium très à propos. « Méphistouchka », composée par Dimitri Naïditch, fait naître une suggestion dramatique.
Le jeu de contrebasse de Gilles Naturel est sublimé dans « Constellation », inspirée par la « Consolation n° 2 » ; une contemporanéité se propage avec détermination. Beaucoup d’introspection habite l’ « Improvisation sur La Cloche Sonne S. 238 » de même que « Contestation , » inspirée par la « Consolation n° 3 », qui réveille en nous la quintessence d’un édifice savamment construit : le doigté du pianiste est inventif et poétique tout à la fois. Ce disque magnifique se referme sur le « Sonnet de Pétrarque 123 », acte passionnel et intimiste.
Ce sont des ponts jetés entre des siècles de tumultes, entre l’amour de la musique d’hier et d’aujourd’hui, la dévotion d’un concertiste pour l’un des génies du XIXème siècle et une volonté d’ouvrir des fenêtres sur des musiques anciennes encore considérées il n’y a pas si longtemps comme incompatibles avec la fécondité du jazz.
Dimitri Naïditch nous ouvre les yeux sur la beauté des compositions de Franz Liszt, ses réinterprétations dynamisent les arias connues. La part primordiale dédiée à l’improvisation avec son trio bien rodé est éclatante et nous laisse imaginer son pays natal enfin pacifié.