Tribune

Disparition de Fred Katz

Fred Katz (1919-2013)


L’entrée du violoncelle dans le monde du jazz tient à peu de choses : l’inattention d’un musicien et l’exiguïté d’une scène de club.

Au milieu des années cinquante, Fred Katz, violoncelliste formé à l’école classique en général et aux côtés de Pablo Casals en particulier, récemment embauché dans la formation du batteur Chico Hamilton en tant que pianiste, attend les pauses de l’orchestre pour sortir son archet et jouer quelques morceaux de Bach comme interludes entre deux sessions de jazz.
Un soir que le morceau l’entraîne un peu plus loin que d’ordinaire il ne fait pas attention au retour du groupe, qui se remet à jouer, il ne peut plus accéder au piano, faute d’espace.
De cette cohabitation imprévue naît le son si particulier du Chico Hamilton Quintet, du jazz West Coast moelleux et capiteux mâtiné de musique de chambre. C’est aussi à cet instant que le violoncelle cesse d’être réduit au rôle de mini-contrebasse dont on ne tire des sons que par pizzicati.

Fred Katz est décédé le sept septembre dernier.
Fils d’immigrés juifs russes, il était né à Brooklyn en 1919. Son père, ancien membre du parti communiste, dentiste, kabbaliste autodidacte, organisait aussi des soirées culturelles auxquelles se mêlait parfois le jeune Tony Bennett.

Militant communiste à son tour, c’est via cet engagement qu’il s’éloignera des musiques écrites et de sa carrière entamée au National Symphony Orchestra de Washington, pour s’intéresser au jazz d’une part mais aussi au folklore populaire par l’entremise des Hootenannies, séances organisées par des membres et des sympathisants du parti et faites d’improvisations et lectures sur des airs traditionnels américains.
Dès les années 30, les communistes américains se sont intéressés au folklore national avec la compositrice et militante américaine Ruth Crawford qui a participé aux enregistrements et transcriptions des airs et mélodies traditionnels en compagnie des Lomax père et fils, les pionniers de l’ethnologie américaine.

Un rapport au folklore que Fred Katz a poursuivi jusqu’aux universités de Nothridge et Fullerton, où il enseignera trente années durant l’anthropologie et l’ethnomusicologie, ayant parmi ses élèves un certain John Densmore - le puriste futur batteur des Doors.
En 1958 sort sur disque la traduction musicale de cette passion d’une vie avec folk Songs For Far Out Folk où s’hybrident le jazz et des airs traditionnels, africains, américains et hébraïques.
L’album, réédité en 2007, fut vendu presque en fraude à Warner qui avait prévu pour Fred Katz de plus rentables travaux au service de Brigitte Bardot.

Pas de musique pour BB mais des arrangements pour Carmen McRae, Sydney Poitier ou Harpo Marx - et sa harpe - sur son Harpo in HI-FI.
Des musiques de films aussi : trois pour Roger Corman dont la première Petite boutique des horreurs, celle de 1960 avec un Jack Nicholson à peine sorti de l’adolescence. Films pour lesquels il n’avait pas la moindre estime.
C’était peut-être moins le cas de Sweet Smell of Success où il apparaît en compagnie du groupe auquel son nom restera attaché : le Chico Hamilton Quintet. Il est sans doute regrettable que le producteur James Hill ait écarté la musique que ses membres composèrent pour le film, au profit d’une partition d’Elmer Bernstein plus conforme aux habitudes hollywoodiennes.

Il faudrait aussi mentionner une pièce composée contre la guerre du Viêt-Nam, The Soldier Puppet, ou les cours de jazz donnés, au cours des années 80, dans un monastère bénédictin en compagnie d’une nonne aux bongos et d’un prêtre saxophoniste.
Outre sept albums sous son nom, il y a, bien sûr, ses six collaborations avec Chico Hamilton (en compagnie de Jim Hall parfois, de Buddy Collette presque toujours) dont la dernière sur Reunion en 1990, disque de retrouvailles après 33 années vécues séparément.

Avant que le cancer du foie qui le grignotait de l’intérieur ne l’achève dans son sommeil, il travaillait à une musique inspirée par ses dernières marottes, la Divine comédie, la mystique chinoise, mais aussi la Kabbale, vieille obsession de son père.