Chronique

Django Plays Django

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Le Chant du Monde, que distribue Harmonia Mundi, a mis au point une série d’anthologies en deux CD à petit prix. Cette galerie de portraits (Jazz Characters) profite, pour l’instant du moins, d’enregistrements tombés dans le domaine public après cinquante ans. L’œuvre du guitariste Django Reinhardt, disparu en 1953 à l’âge de 43 ans, a donc intéressé le label.

Cinq CD auront été nécessaires dont un pour la seule année 1947, particulièrement féconde en enregistrements. Certes, Frémeaux Editions, sous la direction de Daniel Nevers, a déjà sorti l’intégrale, en vingt doubles volumes. Une somme. Mais si Frémeaux a donné en quelque sorte, la « bible » Django - que tout collectionneur ou djangophile se sera immédiatement procurée - le joli coffret blanc et sépia du Chant du Monde, intitulé Django Reinhardt Plays Django Reinhardt, serait plutôt l’« évangile selon Django ». La sélection, effectuée par Alain Raemackers, diredteur de Chant du Monde, et un autre spécialiste du jazz, Patrick Williams, retient les seules compositions de l’inimitable guitariste, à savoir les titres qu’il a signés et cosignés (sur cent cinq compositions, vingt-huit sont écrites en collaboration avec le violoniste complice Stéphane Grappelli). Il a vite paru impossible, dans ce choix, de laisser de côté les improvisations « solitaires », au nombre de onze (entre 1937 et 1950), tant certains thèmes et chorus sont reproduits à la note près à des années d’intervalle. Ils forment l’arrière-plan du paysage reinhardtien, brossé à partir de ses rêveries et méditations si singulières.

Patrick Williams, auteur du livre Django aux éditions marseillaises Parenthèses, autre référence en la matière, a rédigé le livret très complet du coffret, ouvrant de nombreuses pistes pour qui s’intéresse au guitariste et à l’évolution du jazz : car, avec sa dynamique propre, Django a accompagné l’histoire de cette musique, des années 30 à 50, à sa façon géniale et décalée. Et l’on se réjouit d’entendre les différents enregistrements ou versions témoignant de sa propre progression, ainsi du mythique « Nuages » de décembre 40 et mars 53, ou de « Sweet Chorus » de 1936 et 1947 avec un personnel différent.

L’aventure personnelle du musicien se déroule sur plusieurs épisodes, dès le premier enregistrement du Quintette (à cordes) du Hot Club de France de 1934 à 1939 : le premier CD court de 1935 à 1938 avec 26 titres sur cent, dans cette configuration immuable entre rythmiciens et plasticiens qui partagent un réel bonheur de jeu que l’on entend dans le « Minor Swing » de Paris, le 25 novembre 37.

La deuxième période, de 1940 à 1946, occupe trois CD : pendant la guerre, Django a continué de jouer, miraculeusement, et a même tenu un rôle prédominant dans le jazz en France avec un second quintette composé d’une ou deux clarinettes (Hubert Rostaing et Alix Combelle) à la place du violon, et d’une batterie (Pierre Fouad) au lieu de la seconde guitare rythmique. Django pense désormais plus en compositeur, soucieux du détail et de la cohérence de la masse orchestrale, qu’il cherche à étoffer, en jouant sur les couleurs et timbres (« Vendredi 13 », ou « Mabel »).

Django part aux USA, de novembre 46 à février 47, en tournée, avec Duke Ellington et son orchestre. (« A Blues Riff »).Mais il est heureux de revenir en Europe. Commence alors la dernière partie de sa carrière, jusqu’en 1953. Il s’engage sur la voie révolutionnaire du be bop, toujours à sa façon, magnifiquement entouré d’une nouvelle génération de musiciens (les frères Hubert et Raymond Fol, Pierre Michelot, Martial Solal, Maurice Vander). En témoignent ces éblouissants « Impromptu » ou « Flèche d’Or ». Ouvert à toute modernité, Django modifie sa sonorité avec une guitare électrique lors des derniers enregistrements (« D. R Blues », « Blues for Ike ».

Ce coffret permet de découvrir une Djangologie jubilatoire, qui n’est certes pas la seule possible : on adopte bien volontiers le parti pris des auteurs, comme une des clés possibles d’initiation à cette musique. Leur sélection confirme que compositeur et guitariste sont indissociables et que la modernité de Django passe aussi par l’appropriation du blues. D’un genre « exotique », prétexte à virtuosité, comme dans le « Blues Clair » de 1943, il devient un véritable langage intérieur, « le lieu même de la réflexion sur sa création » comme dans l’ultime pièce enregistrée, Deccaphonie, du 8 avril 53.

On avance, l’oreille collée aux notes et recommandations de Patrick Williams qui sait bien que « la guitare de Django chante dans le présent perpétuel qu’elle instaure. » Travail particulièrement soigné, cette réédition d’un patrimoine incomparable joue son rôle initiatique. Que l’on préfère certaines périodes comme le second quintette ou les dernières années (auxquelles la collection Jazz in Paris d’Universal, consacre aussi un album, Nuages), cette sélection pertinente, cet accompagnement pédagogique se révèlent, sans prétendre à l’exhaustivité, suffisamment experts pour offrir un écrin digne de la musique de Django. Ne serait-ce que pour cette entreprise passionnée, l’effort de relecture de toute une période, ce coffret mérite qu’on s’y arrête. Pour le reste, les collectionneurs vérifieront d’eux-mêmes.