Chronique

Elliott Sharp & Frank Vigroux

Hums 2 Terre

Elliott Sharp (as, ts, p, g, ordinateur), Frank Vigroux (g, ordinateur, platines)

Label / Distribution : Signature/Radio France

Partant d’une instrumentation et d’une écriture très nettement free oriented, Frank Vigroux et Elliott Sharp, en conjuguant leurs compétences de guitaristes, vont s’employer pendant une petite heure à tracer le cercle d’une pratique originale et qui défie les appellations.

On trouve dans ce disque, sûrement, le fantasme d’une musique ramenée à ses fondamentaux : le hum désignant le bruit de fond des amplis, tandis que le titre Hums 2 Terre suggère à l’oreille hommes de terre. Manière de dire que la musique, c’est du langage, certes, mais aussi du bruit blanc, de la matière sonore brute et sale. Voilà quelques principes pour nous guider au milieu de ces dix compositions qui se parent, au moins au début, d’atours bruitistes ou chaotiques et se révèlent dès l’abord redoutablement labyrinthiques : soigneusement organisées, mais sur des structures déroutantes, apparemment mesurées mais pleines de pièges et de surprises, comme ces baisses subites de volume sur « Hum de Terre » et « Earth Lift », ou ces déflagrations de percussions sur « On The Bang ».

Musique ramenée à ses fondamentaux, mais pas minimaliste pour autant puisque les sonorités foisonnent ici, plurielles : il s’agit plutôt, à l’aide de quelques instruments sélectionnés et agencés avec soin, de se tenir sur la ligne de crête, très fine, qui sépare la musique du son – ou plutôt, puisque cette distinction n’a pas grand sens, de trouver un équilibre entre bruitisme et écriture tout en faisant en sorte qu’ils se ravivent mutuellement et en permanence. Avec deux guitares, un saxophone, un piano et divers outils électroniques et/ou informatiques, Sharp et Vigroux confectionnent des objets électro-acoustiques denses, déroutants, qui mêlent parfois en une même poignée de secondes rythmiques programmées, montages sonores abrupts, distorsions électriques et bricolages électroniques pointus.

Objet fuyant et paradoxal que ce Hums 2 Terre, donc, qui déborde d’une électricité qu’on dirait volontiers post-punk, en même temps qu’il chasse sur les terres du field recording ou d’une musique plus ambient, par exemple en faisant intervenir à plusieurs reprises des voix d’hommes enregistrées comme sur le vif « Bang Shang Hang » et en explorant avec constance le goût de l’arythmie de Sharp ainsi que la propension à la mélancolie de Vigroux. On n’en louera que davantage cet excellent enregistrement qui s’oppose à toute idée de conformation à un genre ou à une règle pour mieux inventer, dans la pratique, le territoire singulier d’une musique intense et originale.