Chronique

Michel Blanc

Les onze tableaux de l’escouade

Michel Blanc (dr, vib, perc) ; Jean-Luc Cappozzo (tp, flh) ; Franck Vigroux (gt, electronics) ; Jean-Marc Bourg (voc) ; Antonin Rayon (org) ; Sandrine Robilliard (cello) ; Eloïse Decazes (voc) ; Tom Gareil (vib) ; Aurélien Besnard (cl)

Label / Distribution : D’ autres cordes

« Blanc Adrien, classe 1912, grenadier d’élite, s’est hardiment risqué sous les feux les plus violents pour assurer la transmission des ordres au cours des combats ».

1917-2007, quatre-vingt dix ans : Blanc Michel, musicien, redonne chair à la première boucherie semi-industrialisée de l’histoire de l’humanité. Son grand-père était à Verdun ; le journal de guerre de son régiment et des textes personnels servent de trame à une suite en onze tableaux où passent les discours martiaux, les trompettes guerrières et l’horreur des assauts sous les obus, l’angoisse et le chagrin, la révolte aussi.

Une forme éclatée comme un shrapnel : lectures de textes, extraits de discours radiodiffusés d’époque, de sonneries militaires et de chansons « de l’arrière », bruitages électroniques, musiques, chiffres hallucinants.

Les instruments sont essentiellement utilisés pour leur pouvoir d’évocation et de coloration, plus que pour dessiner des mélodies ou des motifs rythmiques. Les guitares et l’électronique de Franck Vigroux, les percussions, sont la mitraille et le roulement incessant du feu ennemi - il n’y a pas de feu ami. La batterie évoque les roulements de marches militaires. La clarinette, le violoncelle font monter l’angoisse. Le bugle retrouve les sons du clairon.

Dans ce chaos de ferraille inhumaine, les voix sont la trace du vivant, témoignage ou mémoire. Les voix parlées, chantées, incarnées par un instrument. Au bugle et à la trompette, Jean-Luc Cappozzo appelle au combat, chante, pleure doucement, se révolte et agonise. Le vibraphone énonce des thèmes, des motifs fragiles et émouvants ; exposés dans un tableau, on les retrouve à d’autres moments sous forme de bribes noyées dans le fracas, comme si le son gracile incarnait la fragile lueur d’humanité qui survit encore dans l’horreur. Au centre du projet, il rejoint la seule voix féminine, celle d’Eloïse Decazes - presque cassée, écoeurée par trop d’injustice et de douleur - pour une « Chanson de Craonne » habillée d’une nouvelle mélodie en mode phrygien : sol do la ré… sol do la mi… sans savoir si c’est fait exprès, le nom des notes sonne un peu, en clignant des oreilles, comme un appel aux soldats.

Le 11 novembre approche, et son avalanche de commémorations. Quatre-vingt dix ans et pour la première fois, plus un seul poilu survivant en France. Au lieu des discours pompeux devant les monuments, écoutez plutôt ça.